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2021/06/29 – Mt 16, 13-19 – St Pierre et St Paul

Dans le territoire païen de Césarée de Philippe, Jésus demande à ses disciples: Pour vous, qui suis-je? Pierre répond en son nom et au nom des Douze: Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. Jésus déclare que cette profession de foi lui vient du Père et lui donne le nouveau nom de Pierre. Il lui déclare qu’il sera le roc sur lequel l’Église sera bâtie. Il aura le pouvoir de lier et de délier, c’est-à-dire de défendre ou de permettre.

Si on suit l’ordre de Matthieu, on voit que Jésus s’est éloigné des territoires juifs et en même temps des foules. Il a commencé par aller dans le territoire de Sidon (Liban) au nord de la Galilée puis, toujours au nord mais plus à l’est, dans le territoire du tétrarque Philippe aux sources du Jourdain. C’est comme s’il avait voulu par là se consacrer à ses disciples et les préparer à aller plus loin dans la connaissance de sa personne.

Jésus commence par demander aux Douze qu’est-ce que les gens disent de lui. La réponse est que les opinions varient et restent incertaines. Il leur demande alors qu’est-ce qu’ils pensent, eux. Pierre fait sa déclaration qui est une profession de foi: Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. Jésus non seulement accepte cette identification mais il la prend dans son sens complet qui dépasse la pensée de Pierre. C’est pour cela qu’il ajoute qu’elle provient d’une révélation du Père. Pour être fidèle à cette révélation, Pierre devra progresser dans la foi, car, comme la suite du récit le montre, sa notion du Messie n’inclut pas la souffrance.

C’est pourtant avec cette foi incomplète que Pierre se fait dire qu’il sera le fondement de l’Église.
Pour indiquer cette nouvelle vocation, Jésus donne à Simon un nom nouveau, comme Dieu avait donné un nom nouveau à Abram. On ne connaît pas d’emploi de Pierre comme nom, que ce soit en grec ou en araméen.

Le mot Église (ekklesia) est employé pour la première fois. Dans le monde politique, il signifiait une convocation de ceux qui étaient qualifiés pour prendre des décisions. La traduction grecque de l’Ancient Testament l’employait pour traduire le peuple de Yahvé, c’est-à-dire l’assemblée de ceux qui ont été convoqués par Dieu. Jésus parle donc d’un nouveau peuple de Dieu dont Pierre est maintenant établi comme fondement. L’importance de Pierre, qui n’a rien d’un héros, est un peu paradoxale. Mais ce n’est pas accidentel puisque la même chose revient dans l’évangile de Jean.

Dans l’évangile de Jean en effet, il y a, après la résurrection, une apparition de Jésus près du lac de Tibériade (21,13). Jésus demande à Pierre, par trois fois, m’aimes-tu. Les deux premières fois, il emploie un mot qui signifie un amour qui veut le bien de l’autre, un amour complètement désintéressé (agapan). Pierre, qui se rappelle ses reniements, n’ose pas répondre en employant le même mot. Il répond: Tu sais que je t’aime-bien (philein). La troisième fois, Jésus emploie le même mot que Pierre comme pour accepter que son amour soit imparfait. Pierre fait la même réponse. Et pourtant, à chaque réponse de Pierre, Jésus a fait une triple investiture: pais mes agneaux, pais mes brebis, c’est-à-dire je t’établis pour régir mon troupeau, mon peuple, même si ta foi a encore des faiblesses. C’est donc très finement dire que Dieu n’a pas besoin d’instruments parfaits pour que sa force agisse à travers eux.

Paul dira: Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort car Dieu lui a révélé:
Ma puissance se déploie dans la faiblesse. (2Cor.12,9.10)

Sa vie, après sa conversion, sera une belle illustration de l’action de cette force de Dieu. C’est lui qui fonda le christianisme en Asie Mineure et en Grèce. C’est par ses lettres que les églises se communiquaient les unes aux autres qu’il a eu l’influence la plus durable sur tout le christianisme. Ses exposés de la doctrine et de la morale de la foi chrétienne sont demeurés des sources d’inspiration.

L’église saint Paul-hors-les-murs, près de Rome, conserve depuis des siècles la tradition d’être le site du tombeau de saint Paul. Devant l’entrée on a mis une statue de Paul et à côté une statue de Pierre. Dans leur importance pour le christianisme, on n’a pas voulu les séparer.

Jean Gobeil SJ 

 

 

 

 

2021/06/28 – Mt 8, 18-22

Aujourd’hui nous n’avons que cinq petits versets en guise d’évangile alors que la première lecture est très longue (Genèse 18, 16-33). Mais on ne pourrait pas dire que ces deux textes sont délimités de manière bizarre. Pour abréger la première lecture, il aurait fallu renoncer à la mise en contexte que représentent les premiers versets, ou mutiler le plaidoyer d’Abraham en faveur de Sodome et Gomorrhe. Quant à l’évangile, l’allonger n’aurait servi à rien, car chez Matthieu, ce petit texte se suffit, indépendamment de ce qui le précède et de ce qui le suit.

La première lecture porte sur l’épisode surprenant de la Genèse, où l’on voit Abraham contester Dieu et palabrer âprement pour essayer de sauver Sodome et Gomorrhe. Cette intercession nous offre une très belle leçon d’humanité, même si elle n’aboutit à rien. Abraham met sa tête sur le billot pour arracher des inconnus au péril. Les habitants de Sodome et Gomorrhe ne sont pas ses amis ou parents. Dans ce « district », il ne compte que quelques proches : son neveu Loth et sa famille qui s’en sortiront, sauf l’épouse qui eut l’infortune de se retourner pour voir ce que devenaient les villes condamnées et se retrouva figée en une statue de sel. Au tribunal du Tout-Puissant, Abraham s’empare courageusement du rôle d’avocat de la défense pour des gens indéfendables et, il ne joue pas la comédie : on sent qu’il veut vraiment leur éviter la sentence capitale. Il affronte le Seigneur qui est à la fois accusateur et juge, en sachant très bien que c’est téméraire de supposer que Dieu peut se tromper. Alors qu’à certaines occasions, Abraham manifeste une pénible couardise (il donne sa femme Sara à Pharaon en prétendant que c’est sa sœur; il cède à la pression de Sara et chasse Hagar et Ismaël les mains presque vides), cette fois, il fait preuve d’une authentique surhumanité.

La surhumanité semble être aussi ce que Jésus exige des siens dans l’évangile. Au scribe qui jure de le suivre partout, il adresse ces paroles qui éteindraient l’euphorie de n’importe qui : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête. » Cela veut dire : si tu décides de me suivre, ne t’attends à aucune récompense ni à aucune reconnaissance en ce monde. En fait, ce qui est « surhumain » est aussi, en un certain sens, inhumain. Personne n’accepte de gaieté de cœur que ce qu’il fait de réellement louable passe inaperçu. Nous voulons tous être applaudis, félicités et décorés pour nos bons coups ou être rémunérés pour services rendus : ce n’est que justice!

Et comme si ce n’était pas suffisant d’imposer aux disciples la condition de « sans domicile fixe », Jésus réclame d’être suivi sur le champ, sans délai, de manière intransigeante. Pourtant, le disciple qui demande d’aller d’abord enterrer son père ne cherche pas un prétexte fallacieux pour se défiler : il prend au sérieux son devoir de fils. La réponse de Jésus à cette requête est choquante : « Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts. » Comment interpréter ce refus de négocier qui semble pousser le disciple à la faute en dévaluant la piété filiale? L’impatience de Jésus s’explique par l’urgence du royaume. Ses paroles traduisent la conviction que le temps est compté, et qu’il faut en tirer toutes les conséquences. Il y a quelque chose d’apocalyptique dans cet impérieux « Suis-moi » en abandonnant même ce qui, en des circonstances normales apparaîtrait comme sacré.

Pendant les années qui ont suivi la disparition de l’homme de Nazareth, ses disciples ont cru effectivement que la fin du monde et le second retour étaient proches. C’est pourquoi des décennies se sont écoulées avant qu’ils ne se décident à mettre par écrit « les paroles du Seigneur » : l’Avènement qu’ils attendaient était trop imminent. À quoi bon des rouleaux de livres sur lui? Avant que les hommes n’aient eu le temps de lire ce qu’on aura écrit, lui-même sera déjà là! Mais il n’est pas revenu, et nous avons tendance à nous démobiliser en pensant qu’il n’y a plus d’urgence. Malgré le fait que nul ne connaît le jour ou l’heure, ou plutôt à cause de cela, il vaudrait mieux entretenir la vigilance de la foi.

Melchior M’Bonimpa

 

 

 

 

2021/06/26 – Mt 8, 5-17

Les centurions constituaient le cœur d’une légion romaine. Au temps de Jésus, les Romains, ces étrangers païens, occupaient le pays et suscitaient la haine des Juifs. Les évangiles au contraire présentent les centurions sous un jour favorable. Rappelons-nous celui, qui, devant Jésus mourant en croix, donne la réponse à la question que les gens se posaient tout au long de l’Évangile de Marc, « Qui est donc cet homme? » Le centurion de garde s’écrie à la mort du Christ: « En vérité, cet homme était Fils de Dieu. » (Mc 15, 39) Cet officier et celui dont il est question aujourd’hui préfiguraient les païens qui, en grand nombre, entrèrent par la suite dans l’Église.

Selon la loi ancienne, un maître avait tous les droits sur son esclave et aucun devoir envers lui. Celui-ci était sa chose, comme un animal, qui lui appartenait. Aussi la générosité du centurion qui aborde Jésus et la peine qu’il ressent à cause de la paralysie dont souffre son esclave – il est au lit et souffre terriblement – contrastent avec la dureté des maîtres de cette époque, et surtout avec la rudesse des officiers romains.

Non seulement ce capitaine de l’armée se montre sensible et solidaire d’un pauvre, son esclave, mais il a une foi admirable en Jésus. Dans un premier moment, il expose seulement le mal dont souffre son esclave; il demande discrètement à Jésus de le soulager et, peut-être, de le guérir. En réponse au centurion, Jésus, comprenant le but de sa démarche, lui déclare qu’il ira le guérir. Exaucé par cette déclaration, cet homme n’a plus rien à ajouter.

Et pourtant…il sait que Jésus ne peut entrer dans une maison païenne sans encourir une impureté légale, dont il devra se purifier pendant une semaine. Il a conscience que le peuple le considère comme un pestiféré, dont le contact est contagieux. En dépit de sa force militaire et de la peur qu’il inspire, il éprouve un sentiment d’indignité, Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Pour lui, Jésus possède un pouvoir qui dépasse celui qu’il exerce sur ses soldats et ses esclaves, mais dont l’efficacité est du même genre. Le Christ peut commander à la paralysie comme lui, l’officier et le maître, à ses soldats ou à ses esclaves. Selon la crédulité de cette époque, il fallait toucher un malade pour le guérir. Mais la foi de ce païen va plus loin que cette crédulité magique, car il croit que la seule parole de Jésus produit l’effet désiré, même s’il ne voit pas ou ne touche pas l’esclave paralysé.

Une telle foi chez un païen suscite l’admiration de Jésus. Les seuls moment où les évangélistes signalent l’admiration de Jésus, c’est lorsqu’il découvre la foi de son interlocuteur. « Comme ta foi est grande! » (Mt 15, 28), répondra-t-il à la femme cananéenne, une autre païenne. Ici, il s’adresse à la foule et il introduit son admiration par la formule solennelle: « Amen, je vous le déclare ».
Jésus compare cette foi à l’incompréhension et au refus que son peuple lui a opposés, ce peuple héritier des ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob. Dieu avait promis à ce peuple, qu’il avait choisi, la participation au banquet céleste. Mais, pour entrer dans le Royaume de la vie et du bonheur, il fallait s’ouvrir par la foi à l’invitation de Dieu proclamée par son Fils. Aussi Jésus, tout attristé, constate avec douleur: « Les héritiers du Royaume seront jetés dehors. »

En refusant l’invitation, ce sont les héritiers qui ont choisi les ténèbres de l’extérieur. Mais ce n’est pas Dieu ou Jésus qui condamne, car il dira clairement: « Moi (et le Père en lui), je ne juge personne » (Jn 8,15). En quoi donc consistent le jugement et la condamnation? « La lumière (le Christ) est venu dans le monde et les humains ont préféré les ténèbres à la lumière » (Jean 3,19). Celui qui refuse de croire et d’accueillir la lumière et la vie se condamne lui-même. La peine du condamné vient de la frustration d’un bien nécessaire à son bonheur, dont il s’est privé librement.
Maintenant la fièvre et d’autres maladies

Après avoir guéri de la lèpre, de la paralysie, Jésus réconforte la belle-mère de Pierre, qui souffre d’un autre mal, la fièvre. La communication avec la malade s’établit, cette fois, par le toucher; la guérison est instantanée: « Il lui prit la main, et la fièvre la quitta. » La suite peut surprendre: « Elle se leva et elle les servait. » Pour l’évangéliste, ce service montre que la guérison est parfaite et qu’un don reçu gratuitement ne peut être conservé égoïstement pour soi-même, mais il doit se traduire en service pour le bien du prochain.

La réputation de Jésus se répand dans le peuple, qui lui amène de nombreux possédés, qui ne sont plus libres, parce qu’ils sont habités et dominés comme des esclaves. Cette domination, qui détruit la liberté et qui empêche de se posséder soi-même, est une tragédie qui sévit à toutes les époques. C’est « par sa parole », semblable à la parole créatrice de Dieu (Gen 1,3.6…), que Jésus les guérit. L’évangéliste voit dans ces guérisons la figure du Serviteur souffrant Isaïe 53,4), qui a pris sur lui nos faiblesses et nos maladies. Matthieu annonce ainsi que Jésus en croix prendra sur lui toute la misère du monde.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/06/25 – Mt 8, 1-4

Après son long message inaugural, dans lequel il annonçait le bonheur, la joie et la vie (Mt, chap. 5, 6 et 7), Jésus montre maintenant par des guérisons que le royaume de Dieu est proche. Une série de dix signes (chap. 8 et 9) attestent que le Seigneur intervient pour sauver les humains: « Ta foi t’a sauvé » (Luc 7,50). L’attitude requise : avoir confiance et accueillir la miséricorde du Dieu vivant, qui ressuscite et rénove le monde. « Une foule de gens » (Mt 7,28s) suivent Jésus, impressionnés par son enseignement proclamé d’autorité. Mais leur enthousiasme est superficiel, il n’a pas de profondeur. Aussi leur admiration n’aura qu’un moment.

À l’époque de Jésus, la lèpre était la plus terrible des maladies. Elle réduisait le malade à l’état d’une épave hideuse, dont l’apparence devenait répugnante. Peu à peu, des ulcères couvraient entièrement le lépreux, qui perdait toute sensibilité et l’usage de ses membres. Selon le genre de lèpre, le malade pouvait souffrir durant une vingtaine d’années avant de mourir. Durant toutes ces années, il survivait à l’état de mort vivant.

La condition physique du lépreux était terrible, mais la réprobation morale était pire, car la société réprouvait son impureté morale et elle lui imposait l’isolement, à l’écart des villes et des villages. Une fois que le prêtre avait constaté la lèpre, il bannissait le malade, qui vivait dans la solitude. « Il faut que l’homme atteint de la lèpre porte des vêtements déchirés, ne se coiffe pas et se couvre le bas du visage. Il doit crier: ‘Impur! Impur!’ Il est impur aussi longtemps qu’il est atteint de son mal; c’est pourquoi il doit avoir sa demeure à l’écart des autres gens, en dehors du camp » (Lév 13,45s).

Le mot « impur » signifie bien la dépravation morale du lépreux; la répugnance de son physique manifestait ses péchés. Comme cette époque ne distinguait pas l’âme du corps et que l’on considérait la personne humaine comme un tout unifié, l’état physique révélait le moral. D’où la réprobation populaire repoussait un lépreux, plus que la crainte de la contagion. C’est pourquoi ce n’était pas le médecin qui prononçait un verdict sur le lépreux, mais le prêtre.

Ce personnage répugnant s’approche de Jésus, contrairement à la défense que la loi lui imposait. Il croit que celui qui peut le guérir est là, tout proche. La guérison est à sa portée. Entre la prescription de la loi, d’un côté, et le salut en Jésus, de l’autre, sa confiance au Seigneur lui indique le choix de la vie. Sa condition de marginal et de reclus le rend humble, « Il se met à genoux devant Jésus ». Il n’ose pas demander directement « guéris-moi », mais il implore discrètement, « Maître, si tu le veux. » Il est le modèle de nos demandes au Seigneur, qui devraient toujours être au conditionnel « Si c’est votre sainte volonté. » Notre prière a toujours pour but ultime de conformer notre volonté à celle de Dieu, dans la foi qu’il veut notre bonheur mieux que nous.

De son côté, Jésus n’hésite pas à enfreindre la loi, qui défendait d’approcher et surtout de toucher un lépreux. La condition de péché se transmettait à celui qui touchait un lépreux ou même un mort. Celui qui commettait cette faute devait se purifier pendant une semaine. Par compassion, Jésus partage la condition d’impureté légale du lépreux en le touchant. La bonté l’emporte sur le légalisme.

En accord avec la demande d’être purifié, Jésus déclara avec une autorité souveraine: « Je le veux, sois pur. » Cette volonté de salut se réalise à l’instant, « L’homme fut purifié de sa lèpre. » Jésus se conforme cependant à la loi, qui exige la déclaration du prêtre pour que le lépreux guéri puisse reprendre une vie normale au milieu des siens. De plus, il doit offrir un sacrifice pour remercier Dieu de sa guérison. Le Livre du Lévitique (14, 1-32) décrit en détail cette cérémonie de la réintégration du lépreux purifié.

La lèpre n’est pas un phénomène isolé, mais elle atteint toute la personne qui souffre de cette infection. Le physique ne peut être séparé de l’intérieur, du cœur, car on ne distingue une partie de l’autre dans l’être humain, qui forme un tout uni. La dimension morale éclipse alors l’aspect physique, qui n’est qu’une manifestation extérieure de l’intérieur de l’homme. Aussi les guérisons de Jésus ne concernent pas seulement un membre de l’infirme, mais elles signifient le salut complet de la personne, sa restauration et sa résurrection.

On pourrait penser qu’un tel récit se limite à une époque lointaine, puisque la lèpre n’existe plus de nos jours, sauf dans quelques contrées en voie de développement. Mais c’est oublier que la lèpre est une forme particulière du mal qui dégrade la personne humaine. Le mal peut prendre, malheureusement, de multiples autres formes: l’alcoolisme, la drogue, le sida,… Il serait injuste d’assimiler ces esclavages, comme autrefois, au péché et à la séparation de Dieu, la source de la vie. Mais tout le monde constate que ces malheurs avilissent l’être humain, le détruisent et le mènent à la mort. Comme pour le lépreux, la guérison est possible pour tous, à toutes les époques. Le Seigneur a transmis à ses disciples son pouvoir de libération: « Guérissez les malades de cette ville » Luc 10,9). À travers les soixante-douze disciples, le Ressuscité ordonne à tous les siens et à son Église d’être ses instruments de guérison: « Ils poseront leurs mains sur les malades et ceux-ci seront guéris » (Marc 16, 18).

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/06/24 – Lc 1, 57-66.80

La naissance de Jean-Baptiste est cause de joie pour la famille et les voisins d’Elisabeth. A la circoncision, Elisabeth et Zacharie, séparément, ont l’inspiration de lui donner le nom de Jean, un nom qui n’appartient pas à la tradition de la famille, pour souligner l’action de Dieu et le présage d’une vocation spéciale. Zacharie retrouve alors la parole et loue le Seigneur. La main du Seigneur était avec Jean et les gens se demandaient quelle serait sa vocation.

Pour Jean, l’évangéliste, Jean-Baptiste est celui qui témoigne. En voyant Jésus il déclare: “Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.” L’Agneau est une référence à l’agneau pascal, un symbole de libération. Il enlève le péché du monde: c’est une référence à la prédiction d’Isaïe sur le personnage futur du serviteur qui portera ou enlèvera les péchés. Il est donc le Sauveur qui vient libérer. “Celui qui m’avait envoyé m’avait dit: “Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint”. Et moi j’ai vu et je témoigne que celui-ci est l’Elu de Dieu.” (1,29.33-34)

Pour les synoptiques, il est le précurseur, celui qui prépare la venue du Messie. Mais pour Luc, c’est à l’intérieur de l’évangile de l’enfance et Jean-Baptiste participe à la présence de l’Esprit Saint et à la joie qui entoure l’Incarnation. Comme pour Jésus, il y a une annonciation par un ange; comme Marie, Zacharie le père a un chant d’action de grâce. Comme pour Jésus, il y a la cérémonie du nom qui est donné.

Tout en respectant le caractère unique de la personne de Jésus, Luc souligne l’importance de la naissance de Jean-Baptiste. Elisabeth est âgée et n’a jamais eu d’enfant: sa grossesse est due à la Providence et la comble de joie. La rencontre de Marie est aussi une rencontre de l’Esprit Saint. Le don du nom de Jean souligne l’importance du rôle que Dieu lui réserve.

Zacharie est un prêtre; à cause de cela, il serait normal que Jean-Baptiste reçoive le même nom que son père ou au moins le nom d’un ancêtre important. Or lorsqu’on demande à Elisabeth, puisque Zacharie est encore muet, quel sera le nom de l’enfant, elle répond sans avoir pu se concerter avec son mari que ce sera Jean. A son tour, Zacharie écrit sur une tablette: son nom est Jean. La raison est que c’est Dieu, par l’intermédiaire de l’ange dans la vision de Zacharie au temple, qui a imposé le nom de Jean. Or quand Dieu donne un nom, comme Jésus le fera pour Simon, c’est pour indiquer une vocation à une mission.

L’antienne d’ouverture de la messe rappelait les deux aspects de la mission de Jean-Baptiste: l’aspect de l’évangile de Jean, Il était venu comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière ; l’aspect de la version de Luc : pour préparer au Seigneur un peuple capable de l’accueillir. Luc ne fera que mentionner la mort de Jean-Baptiste mais Marc et Matthieu expliqueront que c’est à cause de sa fidélité à sa mission qu’il sera mis à mort. Il y a un type d’icône qui représente le Christ glorieux avec de chaque côté de lui et tournés vers lui, Marie d’un côté et Jean-Baptiste de l’autre. On appelle cette icône, la déèsis, la supplication ou la prière. Marie et Jean-Baptiste continuent à jouer un rôle important qui est de prier pour l’Église. Avec Marie et Jean-Baptiste, nous pouvons refaire la demande de l’oraison : Seigneur, accorde à ton Église le don de la joie spirituelle, et guide l’esprit de tous les croyants dans la voie du salut et de la paix.

Jean Gobeil SJ

 

2021/06/23 – Mt 7, 15-20

Ce passage, toujours dans la conclusion du sermon sur la montagne, est un avertissement à la communauté: il faut se défier des pseudo-prophètes. Ils peuvent bien paraître, déguisés en brebis, mais ils sont en réalité des loups voraces. Leur titre et leur apparence ne sont pas une garantie. Le meilleur critère pour reconnaître ce qu’ils sont vraiment est de voir si leurs actes, leurs fruits, et leur conduite sont en accord avec l’enseignement du Christ. Tout arbre bon donne de beaux fruits.

Le prophète Joël avait prédit qu’avec la venue du Messie et l’ère nouvelle l’Esprit Saint serait répandu dans tous les fidèles :  Je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront de songes, vos jeunes gens des visions. (Joël 3,1)

Dans l’évangile de l’enfance de Luc, on voit qu’avec la présence du Verbe la présence de l’Esprit Saint se manifeste dans Marie, dans Élisabeth, au temple dans le vieillard Siméon et la prophétesse Anne. Dans les Actes des apôtres qui décrivent les débuts de l’Église, cette présence se manifeste lors de la Pentecôte où Pierre déclare que la prophétie de Joël est maintenant réalisée. Cette présence continue de se manifester après la Pentecôte de diverses façons. Ce sont les dons ou grâces données aux individus pour servir la communauté. Parmi ces dons, il y a celui de parler sous l’inspiration de l’Esprit Saint: le don de prophétie. Il peut être occasionnel comme après le baptême où souvent le nouveau baptisé est dit “prophétiser”. Occasionnellement, prophétiser implique une prédiction dont l’annonce demande une démarche de la communauté: à Antioche, un prophète annonce une famine et la communauté doit préparer de l’aide pour l’église de Jérusalem (Actes 11,28). Mais une prophétie n’est pas nécessairement une prédiction de l’avenir. Paul décrit l’action de prophétiser comme une action d’ édifier, exhorter, réconforter (1 Corinthiens 14,3).
Ceux qui avaient ce charisme ou ce don qui évidemment était très important pour la communauté étaient considérés comme des prophètes de façon permanente pour les distinguer des autres services comme celui des docteurs (ceux qui enseignaient) ou des prédicateurs comme Apollos qui était un très bon prédicateur mais pourtant n’est pas appelé un prophète.

Paul appréciait le rôle des prophètes dans la communauté; il recommande aux Thessaloniciens de ne pas déprécier les dons de prophétie (1 Thessaloniciens,5,19-21) mais d’utiliser quand même le discernement qui est aussi un don de l’Esprit. Le même discernement est suggéré aux prophètes de Corinthe (1 Corinthiens 14,29-32). Ceci vaut à l’intérieur d’une communauté. Les difficultés commenceront plus tard quand des gens venus de l’extérieur de la communauté se présenteront en se prétendant prophètes. Le prophétisme pouvait exercer de l’attrait sur des gens qui avaient le goût du prestige, du pouvoir ou du profit. Dès les débuts, Simon le magicien avait essayé d’obtenir le don de prophétie en offrant de l’argent à Pierre (Actes 8).

C’est donc une invitation au discernement qui est spécialement faite à la communauté à laquelle s’adresse Matthieu. Mais il reste que le discernement est toujours un don de l’Esprit et il doit encore être exercé sérieusement.

Jean Gobeil SJ 

 

 

 

2021/06/22 – Mt 7, 6.12-14

Le texte contient trois prescriptions: d’abord de ne pas donner aux chiens ou aux cochons ce qui est sacré; la seconde commande de faire pour les hommes tout ce qu’on voudrait qu’ils fassent pour soi et la troisième, de choisir la porte étroite qui conduit à la vie alors que la porte large conduit à la perdition.

La première recommandation est probablement à comprendre dans un contexte de persécution comme celui où Jésus dit qu’on doit être comme des brebis au milieu des loups et se montrer rusés comme des serpents et candides comme des colombes (Mt.10,16). Il ne faut pas proposer une doctrine précieuse comme le contenu du sermon sur la montagne à des gens incapables de la recevoir et qui pourraient en abuser (Cf. Note BJ). Il ne faut pas risquer la profanation des choses saintes.

Avec la seconde recommandation, qui est en fait un commandement et qu’on appelle la Règle d’Or, on entre dans la conclusion du sermon sur la montagne. La règle d’or existait déjà dans une version négative comme on la retrouve dans saint Paul (Rom.13,10) : La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la Loi dans sa plénitude.

Un rabbin célèbre (Hillel) avait dit un peu avant Jésus : “Ce qui te déplaît, ne le fais pas à autrui: voilà toute la Loi! Tout le reste n’est que commentaire.” Mais Jésus en disant de faire pour les autres ce qu’on voudrait qu’on fasse pour soi présente quelque chose de beaucoup plus exigeant que simplement de ne pas faire de tort. En outre, il y a de l’insistance: Faites tout ce que vous voudriez qu’on fasse pour vous. Enfin, en disant pour les hommes (au lieu de pour vos frères), le commandement a une portée qui dépasse les limites de la communauté: il n’y a pas de frontière pour l’identité du prochain. Jésus conclut la règle d’or en disant : Voilà ce que dit toute l’Écriture: la Loi et les Prophètes.

Au début du sermon sur la montagne Jésus avait déclaré : N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes; je ne suis pas venu abolir mais accomplir. Ainsi il conclut avec la règle d’or comme si c’était un résumé de l’accomplissement qu’il apportait à l’Ancien Testament.

La troisième recommandation au terme du sermon sur la montagne vient rappeler qu’il y a un choix à faire. Si on accepte d’être membre du Royaume et de mettre en pratique l’esprit du sermon sur la montagne, on ne choisit pas la facilité, la porte large mais on prend la porte étroite, on accepte les difficultés et les efforts: c’est la porte étroite qui mène à la vie.

Dans l’Ancien Testament, au lieu de parler de porte on employait l’image du chemin: le chemin des justes et le chemin des méchants comme dans le Psaume 1. Ou bien, comme dans le Deutéronome, on parlait des deux voies : Je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur. … Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant Yahvé ton Dieu, écoutant sa voix, t’attachant à lui; car là est ta vie. Dt.30,15.19-20.

Jean Gobeil SJ 

 

 

 

 

2021/06/21 – Mt 7, 1-5

Dans le sermon sur la montagne, Jésus déclare: Ne jugez pas pour ne pas être jugés. Le jugement que vous portez contre les autres, sera portée aussi contre vous; la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous. Avant de vouloir corriger les autres il faut d’abord trouver ce qu’il faut corriger en soi.

Il est peut-être utile de nous situer. Le sermon a commencé par les béatitudes qui déclaraient que les valeurs du Royaume pouvaient sembler paradoxales aux yeux du monde. Ensuite, il y eut l’avertissement que la justice du Royaume ne venait pas abolir la Loi révélée à travers l’histoire d’Israël mais qu’elle venait la compléter. On peut considérer cette partie comme une introduction.

Ensuite, ce qu’on pourrait appeler le corps du sermon présente 8 antithèses: Vous avez entendu…. Et bien moi je vous dis… Dans cette partie, des exemples sont donnés pour montrer que la justice du Royaume, c’est-à-dire la fidélité à la volonté de Dieu, va plus loin que ce que la Loi demandait. Cette partie se termine par la prescription de l’amour des ennemis basé sur le fait que ceux qui appartiennent au Royaume savent qu’ils sont des enfants de Dieu et doivent se comporter comme Lui.

La partie suivante traite de la prière et de la sincérité qu’elle doit avoir pour être authentique. C’est là que Jésus donne l’exemple du Notre Père, nous associant à sa propre prière.

Nous arrivons à la troisième partie qui traite des attitudes de base à avoir pour faire partie de la communauté dans le Royaume. Il faut se rappeler qu’on ne peut servir Dieu et l’argent. Il faut se rappeler aussi que les préoccupations matérielles ne doivent pas bloquer tout notre horizon. Et nous arrivons à cette recommandation de ne pas juger.

Ceci vise surtout une communauté. La tentation est facile pour des gens qui ont un grand idéal de vouloir forcer les autres à se conformer à leur façon de voir. Cela peut prendre la forme de critiques, de dénonciations ou même aller jusqu’à des condamnations. On peut empoisonner une atmosphère au nom de la vertu! Jésus déclare que le jugement, il faut se l’appliquer avant de l’appliquer aux autres et qu’il faut travailler à se corriger avant de vouloir corriger les autres. La sévérité, c’est à soi-même qu’il faut l’appliquer. C’est un problème qui a dû se présenter dans les communautés chrétiennes puisque l’épître de saint Jacques en parle en attaquant vigoureusement la prétention à juger les autres: c’est elle qui entraîne la médisance, dit-il (Jacques, 4,11-12). Il n’y a qu’un juge: c’est Dieu. Et toi, dit-il, qui es-tu pour juger le prochain? En d’autres mots, tu te prends pour un autre!

Dieu seul est juge parce que Dieu seul est le législateur. Lui seul sait parfaitement ce qu’il y a dans ce qu’il demande. Et lui seul connaît le fond de notre cœur.

Jean Gobeil SJ 

 

2021/06/19 – Mt 6, 24-34

Deux divinités se disputent le cœur de l’homme. Pourquoi s’opposent-elles entre elles? Ne serait-il pas possible de les concilier, d’établir des ponts entre chacune d’elles et de les unir? De tirer profit des deux côtés? Pourquoi cet exclusivisme, pourquoi une telle intransigeance?

Ils sont nombreux, à toutes les époques, qui ont voulu, consciemment ou non, associer ces deux divinités et être leurs serviteurs, pour retirer des dividendes des deux côtés. L’argent semble donner le plaisir et la sécurité, tout en offrant les moyens de se procurer tous les biens souhaitables. Par ailleurs, on aime se ménager la protection de cet Être suprême, Souverain de l’univers, même si le culte qu’on lui rend est formaliste, souvent sans âme.

Avec cette double allégeance, on ne se rend pas compte qu’on se divise. On devient ce qu’on aime, ce en quoi on cherche sa vie, son bonheur et sa sécurité. Si on aime deux divinités, une moitié de soi-même adhère à l’une, et l’autre moitié à la seconde. Cette division équivaut à un cancer moral, cette maladie qui mine et qui détruit. Une telle division empêche de réaliser l’unité en nous-mêmes, qui est la condition de notre épanouissement pour vivre pleinement et être heureux. Le bonheur ne fleurit que dans une personne dont tous les désirs et tous les efforts tendent vers un but unique.

Le mot qu’emploie Jésus exprime clairement cette unité de l’être humain et la nécessité d’un choix exclusif. Le terme hébreu, èbed, ou son équivalent grec, doulos, désigne non pas simplement un serviteur, mais un esclave. Dans le monde social de l’époque, la condition de l’esclave réduit un humain à ne plus être une personne, mais un objet, que son maître possède. En conséquence, son propriétaire en fait ce qu’il veut. L’esclave ne dispose pas de son existence, ni même d’aucun moment de repos ou loisir. L’esclave n’a pas choisi une telle condition, il la subit. C’est la dégradation à laquelle réduit la servitude de l’argent

Comment l’argent peut-il devenir un mammon, un dieu tyrannique qui possède son esclave? L’argent et les biens qu’il procure seraient-il mauvais? Pourtant Dieu a béni son peuple en lui accordant un pays et les richesses qu’il contient. Ces richesses sont le signe de la bénédiction de Dieu. Cependant, lorsqu’il donne à Israël la Terre qu’il lui a promise, il le prévient avec insistance: Prends bien garde d’oublier le Seigneur ton Dieu, en négligeant d’obéir à ses commandements, à ses règles et à ses lois que je te communique aujourd’hui. (Deut 8,11) L’argent est un bien donné par Dieu, mais que l’égoïsme de l’homme peut facilement utiliser pour se construire une situation confortable et se donner l’impression de la sécurité. Aussi saint Paul peut affirmer: « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux » (1 Tim 6,10).

Ayant la fausse impression d’avoir tout ce qui lui faut pour vivre et être heureux, le riche n’a plus besoin de Dieu. Sans nier son existence, il l’oublie. Il vit comme si Dieu n’existait pas, comme le riche de la parabole qui pense avoir assuré son avenir (Luc 12,16-21), ou celui qui se noie dans les plaisirs du moment présent (Luc 16,19-31). Dans nos sociétés d’abondance, combien de nos voisins vivent dans cette insouciance et dans cette illusion?

L’argent ne suscite pas seulement un nuage d’illusions , mais il devient un tyran dont on devient prisonnier. Tout en nous rendant dépendant, il multiplie pour nous les soucis et même les angoisses. Le financier scrute à tout moment les cotes de la bourse, espérant une hausse et craignant le désastre d’une dégringolade. Le prix de l’essence grimpe et s’envole à des sommets qui menacent l’ensemble de l’économie et notre niveau de vie personnelle. Oui! vraiment les motifs d’inquiétudes sont innombrables,…quand on prétend assurer par soi-même sa sécurité. On s’est illusionné en se fiant à sa fragilité.

Pour n’importe quelle situation, Jésus nous dit d’unir notre volonté à celle de Dieu pour trouver la vraie liberté. En épousant la volonté de Dieu, on participe à sa souveraine liberté pour dominer tout ce qui nous menace. C’est ainsi que le grand prêtre d’Israël répondait au général rempli de peur pour l’avenir: « Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte » (Racine).
Dieu nous a créés par amour, gratuitement, chacun et chacune d’entre nous. Il aurait créé des milliards d’autres êtres humains à notre place. Mais il nous a choisis personnellement. Comment ne nous donnerait-il pas ce qu’il nous faut pour entretenir et développer cette existence qu’il nous a accordée. Lorsqu’on s’inquiète de l’avenir, c’est que nous essayons de mettre notre confiance en nous-mêmes, plutôt que dans la Providence.

En servant Dieu librement, par amour et dans la confiance, nous parvenons à nous libérer de la tyrannie de l’argent. La dernière scène du film « L’avare », qui reprend la célèbre comédie de Molière, illustre cet esclavage de l’argent. L’avare avance péniblement dans le désert en traînant son sac d’or auquel il s’est attaché. L’expérience nous montre combien Jésus a raison: il faut choisir entre deux maîtres. L’argent nous fascine et nous réduit à la misère de l’esclavage. Dieu nous offre de nous libérer de tout souci, en nous associant à sa souveraine liberté.

Jean-Louis D’Aragon SJ

 

 

2021/06/18 – Mt 6, 19-23

Les conseils de la sagesse s’imposent à nous si nous désirons mener notre vie vers le succès et le bonheur. Le Sermon inaugural de Jésus, sur la montagne, présente une série de directives pour orienter sagement sa vie. Dans le présent passage de la liturgie, Jésus nous donne un avis précieux sur le véritable but de notre existence, la vraie vie, et sur la manière de voir cette vie.

Mon beau-frère avait un petit chien, nullement attrayant, mais auquel il était attaché. « Après celui-ci, je n’en aurai plus d’autre » – me disait-il – « parce que j’ai trop de peine quand il disparaît. » C’est le grand danger d’attacher son bonheur à ce qui passe. Tout est relatif et ne dure qu’un instant. Par contre, on ressent le besoin de s’attacher à quelque chose, un animal de compagnie et, encore plus, à une personne. Jésus nous enseigne que ce besoin naturel de s’attacher doit viser non ce qui passe, mais l’Absolu, qui demeure éternellement.

Jésus donne trois exemples, propres à son milieu, de biens attirants, mais fragiles, dans les domaines du vêtement, de la nourriture et de l’argent. Ce sont les biens que recherchaient les gens de cette époque, mais qui donnaient seulement l’illusion du bonheur. Les mites, la vermine (souris, rats,…) ou les voleurs montrent la précarité de ces biens qui devaient procurer le bonheur. Au début, ils procurent un plaisir, qui, malheureusement, s’affadit et s’évapore bien vite. Nous sommes tous comme les enfants qui sont éblouis au début par le jouet qu’ils reçoivent. Après quelque temps, ce même jouet ne leur dit plus rien; ils le mettent de côté.

À notre époque, ils sont nombreux ceux qui ont l’impression d’atteindre le bonheur dans le plaisir sexuel. Le coup de foudre! Mais la foudre ne dure pas et la répétition rend rapidement le plaisir banal et fade. La drogue attire de nombreux jeunes, qui pensent y trouver une évasion de notre monde grisâtre. Mais l’usage affadit l’effet. Aussi il faut augmenter les doses et en venir à la dépendance et à la destruction de soi-même, qui conduisent au désespoir et au suicide.

Lorsque saint Laurent, diacre et administrateur de l’église de Rome, fut arrêté, le juge lui ordonna de livrer les trésors de sa communauté. Laurent montra les pauvres et déclara: « Voici nos trésors! » Ayant distribué les biens de l’église aux démunis, il pouvait affirmer que les trésors de l’église avaient pris le visage de ces pauvres, devenus les témoins de la charité dont ils avaient bénéficiée. À la mort, on n’emporte aucun bien extérieur. Comme un proverbe l’exprime d’une manière imagée: « Un suaire n’a pas de poche » pour contenir un trésor terrestre. Par contre, on possède pour toujours et on emporte ce qu’on a dans le coeur, l’amour qui s’est donné dans des actions de générosité.

L’œil est la fenêtre par laquelle entre la lumière, mais il est aussi l’entrée pour pénétrer à l’intérieur de la personne que l’on examine. Une mère dit justement à son enfant qui a désobéi: « Regarde-moi dans les yeux. » Dans le regard, on peut comprendre le caractère de la personne à qui on s’adresse. Il y a des regards fuyants, il y a des regards fourbes, mais il y a des regards limpides. « L’œil clair » est celui qui ne cache rien, un regard sympathique qui s’ouvre à tous ceux qu’il rencontre. C’est le regard de la personne généreuse dans ses jugements sur les autres, de celle qui se donne pour le bonheur d’autrui.

L’œil mauvais, au contraire, est celui qui est empreint de préjugés défavorables sur les autres, qui prend plaisir à les déprécier et à les condamner. Devant le succès des autres, il éprouve de la jalousie. L’œil égoïste ne communique guère, il s’isole pour s’emmurer en lui-même. Comment alors peut-il vivre avec les autres et avec Dieu?

On devient d’une certaine manière l’objet ou la personne à qui on se livre. Aussi est-il capital de bien discerner les liens qui nous attachent, à clairement évaluer pour quoi ou pour qui on sacrifie une part de sa liberté. Le monde nous veut nous persuader de livrer notre liberté à de fausses valeurs, à nous attacher à l’argent, au plaisir, aux honneurs, tous des mirages qui fascinent, mais qui s’évaporent en nous laissant blessés au cœur. Pour ne pas subir la déception du mirage, afin de ne pas donner son cœur et son idéal à la vanité, au vide, il faut orienter toutes ses aspirations vers l’Absolu, l’unique qui ne déçoit pas.  Mais seul celui qui a « l’œil clair », qui a le regard ouvert par la foi et l’amour, peut discerner le mystère de l’Absolu et le découvrir partout et, particulièrement, en lui-même, dans son cœur.

Jean-Louis D’Aragon SJ