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2021/11/04 – Lc 15, 1-10

L’introduction à ce chapitre indique que les trois paraboles que Jésus proposera par la suite ont pour but de répondre aux critiques des Pharisiens et des docteurs de la Loi. Ceux-ci accusent Jésus de bien accueillir les pécheurs et de manger avec eux. Il partage avec eux la même nourriture et, symboliquement, la même vie, puisque la nourriture renouvelle la vie et revêt ainsi une valeur sacrée. Les Pharisiens, dont le nom signifie « les séparés », évitaient tout contact avec les personnes considérées comme impures et qui pouvaient les contaminer.

L’observance de la Loi, expression de la volonté divine, est essentielle pour être en accord avec Dieu. Ne pas l’observer, c’est se séparer de Dieu, se mettre sur le chemin de sa perdition. Il faut donc connaître la Loi et l’observer, car c’est la seule voie du salut, selon les Pharisiens.

Ceux qui n’observent pas la Loi sont dans une condition de malédiction. De même qu’on évite tout contact avec les pestiférés, comme les lépreux, de la même manière on doit éviter encore plus toute proximité avec ceux qui ont en eux la peste morale, qui corrompt le coeur du pécheur. Leur contact transmet leur corruption.

Jésus, au contraire, qui accepte de rencontrer les pécheurs et de partager avec eux la même nourriture, doit se défendre contre les attaques des Pharisiens et justifier sa conduite envers les pécheurs. Les verbes à l’imparfait, (les pécheurs) « s’approchaient » et (les Pharisiens) « critiquaient », expriment des actions qui se répètent, et non pas des gestes isolés. Jésus répond à ses adversaires qu’il agit comme Dieu, mandaté par celui qui se réjouit de la conversion d’un seul pécheur. L’idée centrale des trois paraboles est donc l’affirmation de la joie de Dieu pour le retour (la conversion) de ce qui était perdu, le mouton, la pièce de monnaie et le fils prodigue.

La brebis et la monnaie retrouvées

La même parabole de la brebis perdue se retrouve dans Matthieu 18,12-14, mais la perspective est différente. Chez celui-ci, ce n’est pas Dieu qui se soucie du mouton égaré, mais les chefs de l’Église qui ont le devoir de veiller sur les petits et de réconforter ceux dont la foi menace de sombrer. Le souci de Dieu à l’égard des plus modestes membres de son troupeau (Luc) se prolonge donc dans les autorités de son Église (Matthieu).

Dans les trois paraboles, la joie éclate à quatre reprises (vv. 6, 9, 24 et 32). Au lieu de la tristesse pessimiste des Pharisiens, qui déplorent la corruption du monde autour d’eux, Jésus exulte de la joie de Dieu à la vue des pécheurs qui viennent vers lui. Jésus invite implicitement ses détracteurs à se réjouir comme Dieu, que lui-même, le Christ, représente.

Le berger ne se contente pas d’attendre et d’espérer le retour de la brebis perdue, comme le père du fils prodigue; il part à sa recherche. Dieu fait toutes les avances pour que la brebis revienne. Après l’avoir trouvée, il ne la ramène pas tout simplement en la conduisant vers le bercail, il la prend sur ses épaules, épargnant la fatigue du chemin à sa brebis épuisée. Sa générosité trouve sa récompense dans la joie qu’il veut partager avec ses amis, « Réjouissez-vous avec moi! »

« La pièce d’argent perdue » répète avec insistance le même enseignement. Cette pièce d’argent possède une valeur économique pour la femme, mais surtout sentimentale, puisque les dix pièces d’argent constituent sa dot. Puisque sa maison n’a pas de fenêtre, elle allume une lampe et elle balaie le sol couvert de paille, dans laquelle la pièce qu’elle cherche se trouve cachée. Comme le berger, elle partage sa joie avec ses amies et ses voisines.

Comment comprendre que le retour d’un seul pécheur puisse provoquer plus de joie que 99 justes « qui n’ont pas besoin de conversion ». Ces 99 n’auraient donc pas d’importance? Ils n’auraient pas besoin de se convertir, alors que tous les humains sont des pécheurs, qui ont besoin de conversion. Ce qui est sous-jacent, c’est que ces « 99 » représentent les Pharisiens, qui pensent ne pas avoir besoin de se convertir, parce qu’ils observent la Loi et s’estiment justes. Jésus osera même affirmer que le publicain est devenu « juste » après sa prière dans le Temple, mais non pas le Pharisien, qui a l’illusion de s’être rendu juste par lui-même, par son observance de la Loi (Luc 18,14).

Conclusion

L’attitude et les principes des Pharisiens et de Jésus sont en flagrante opposition. Les Pharisiens se défendent contre le mal et prennent les mesures qu’ils jugent efficaces pour se protéger. En conséquence, on se réfugie dans un ghetto où seuls, les justes, ont droit de cité, ils se donnent bonne conscience, mais ils versent dans l’orgueil de s’estimer parfaits et de condamner les pécheurs. Jésus, au contraire, enseigne par sa conduite la puissance conquérante de l’amour, qui met en oeuvre le dynamisme que le Créateur a inscrit dans chaque personne humaine, qui s’oublie par amour pour secourir les faibles. Entre se replier sur soi-même pour s’enfermer dans la pauvreté de sa personne ou s’ouvrir aux autres par amour, le choix est tout indiqué par Jésus.
Une scène dans la carrière de Vincent-de-Paul illustre l’opposition entre les Pharisiens et Jésus. Dans une localité où sévit la peste, Vincent rencontre les notables de l’endroit, réunis dans une vaste demeure. Ils disent à « Monsieur Vincent » que les malades atteints de la peste ont été emmurés dans une maison où ils n’ont plus qu’à attendre la mort. Les personnes valides, de leur côté, éviteront la peste et survivront. Révolté, Vincent se rend à cette sorte de prison où sont enfermés les pestiférés, arrache les poutres qui obstruent toutes les issues et libèrent ces malades pour les soigner et les réconforter. Au cours des siècles, combien de témoins de cet amour, enseigné et vécu par le Christ, ont soigné et consolé les pestiférés et les lépreux au prix de leur vie?

Jean-Louis D’Aragon SJ

20211/11/03 – Lc 14, 25-33

Aux foules qui le suivent, Jésus déclare que pour être son disciple il faut lui donner la priorité absolue, même sur sa propre vie, et être prêt à prendre sa croix pour le suivre. Pour prendre cet engagement, comme pour celui qui entreprend une construction importante ou comme le roi qui s’engage dans une campagne de guerre, il faut être conscient des conséquences de cet engagement. On ne peut être son disciple à moins de renoncer à tous ses biens.

L’auditoire est changé: au lieu d’un repas avec des Pharisiens, Jésus s’adresse à des foules. Luc ne dit pas qu’elles suivent Jésus, un mot qu’il garde pour ceux qui sont des disciples. Mais elles marchent avec lui: c’est un auditoire plus sympathique que les Pharisiens qui l’observaient. Ce n’est pas hasard que Luc a mis ces paroles de Jésus après la parabole du festin où les premiers invités qui avaient refusé de venir étaient remplacés par des gens de condition beaucoup plus humble. C’est un avertissement que pour répondre à l’invitation du Royaume et être ses disciples il y a des exigences.

Venir à Jésus n’est pas suffisant pour être un disciple. Il y a un engagement à prendre. Il faut lui donner une priorité absolue, une priorité sur toute autre bonne chose ou personne et même sa propre vie. Ensuite, pour marcher derrière lui, c’est-à-dire le suivre ou être son disciple, il faut porter sa croix. Pour les auditeurs, cela veut dire partager ses difficultés et ses épreuves. Mais pour les lecteurs de l’évangile, les chrétiens, c’est une anticipation du Calvaire: un disciple doit s’unir à la Passion du Christ. Saint Paul parle de compléter la Passion du Christ.

On ne peut donc s’engager à la légère. Il faut prévoir et se préparer comme l’illustrent les deux paraboles: celui qui bâtit une tour, une structure de défense, et celui qui engager une opération militaire. Les deux doivent se préparer et ne pas négliger de voir les conséquences de leur démarche: on ne peut pas rebrousser chemin.

La préparation pour un disciple est résumée dans la dernière phrase: il faut renoncer à tous ses biens. C’est dire que la préparation suppose le rejet ou la séparation de tout ce qui empêche d’être donné totalement au Christ.

Jean Gobeil SJ

 

 

 

2021/11/02 – Lc 12, 35-40

La parabole est une illustration de la nécessité de la vigilance, de la patience et de la fidélité que doivent avoir les disciples. C’est un thème qu’on retrouve souvent dans l’évangile de Luc parce qu’il s’accorde bien avec la notion du temps de cet évangile.

Le temps de Luc c’est le temps de l’Église. C’est le temps à la fois du déjà là et du pas encore.
Le Royaume est déjà là. Le Seigneur avertit ses disciples qu’il ne faut pas l’attendre. Il ne faut pas se laisser tromper par ceux qui disent qu’ils savent où il est ou bien qu’il s’en vient. C’est le présent, le maintenant qui est important car:
Car voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous. (Luc 17,21)

Les trois premiers chapitres de l’évangile montraient qu’avec l’Incarnation du Christ, l’Esprit Saint était présent et actif. Le Royaume était commencé et la joie, l’action de grâce et la louange abondaient.

Ainsi Luc changeait la perspective des toutes premières communautés. Au lieu de l’attente d’un futur c’est la réponse à une présence que devaient montrer les disciples: c’est le temps de l’Église.

Mais le Royaume n’est pas encore manifesté dans toute sa gloire. Il y a encore la présence du mal, la possibilité des persécutions, la faiblesse et parfois l’abandon des disciples. Il y a l’absence du Christ visible. Comme dans la parabole, la nuit peut paraître longue et les disciples ont besoin d’être encouragés.

C’est ce que fait aussi la parabole en parlant d’un repas que le maître donne à ses serviteurs. Le ciel était souvent représenté comme un repas avec le Seigneur. Dans un repas où Jésus faisait une remarque sur la résurrection des justes un convive avait ajouté:
Heureux celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu. (Luc 14,15)

Un repas représente non seulement la présence visible mais encore l’intimité. C’est l’encouragement qu’offre l’Apocalypse qui donne comme une explicitation de la parabole : Voici, je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi.
(Apocalypse 3,20)

Jean Gobeil SJ

2021/11/01 – Mt 5, 1-12a

Les béatitudes sont annoncées aux disciples.
Heureux les pauvres de coeur: le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux: ils posséderont la terre.
Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim de justice: ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux: ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs: ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le Royaume des cieux est à eux.
Heureux ceux qui sont persécutés à cause du Christ: leur récompense sera grande dans les cieux.

Quand les disciples de Jean Baptiste sont venus demander à Jésus s’il était le Messie ou s’il fallait en attendre un autre Jésus a répondu en décrivant son oeuvre à la manière d’Isaïe:
les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. (Matthieu 11,4)

C’était là des œuvres de libération qui étaient des signes de la libération intérieure qu’apportait la présence du Royaume. C’était souvent complété par des remarques comme: ta foi t’a sauvé ou tes péchés te sont remis, pour souligner que cette libération était avant tout intérieure.

La liste des béatitudes au début du sermon sur la montagne donne des exemples de ceux qui sont ouverts pour accueillir le Royaume et sa libération. On peut les caractériser par ce que l’Ancien Testament appelait les anawim de Yahvé, les pauvres dans le sens des petits de Yahvé. Ce sont ceux qui connaissent leurs limites et leurs faiblesses et qui savent que par leur propres moyens ils ne peuvent atteindre la libération et que Dieu seul peut combler leur attente. On les appelait aussi des justes comme le vieillard Siméon lors de la présentation de Jésus au temple. On disait de lui qu’il était juste et pieux parce qu’il attendait la consolation d’Israël et que l’Esprit Saint reposait sur lui. Dans le Nouveau Testament, on les appelle les saints, qu’ils soient déjà dans le repos de Dieu ou qu’ils soient encore dans les communautés chrétiennes. Comme dit le Psaume 95, ils ont été créés par Dieu, appelés par Lui et ils ont répondu à son appel. Ils constituent le peuple de Dieu, le peuple de ceux qui ont cherché la face de Dieu.

La fête de la Toussaint célèbre ceux du peuple de Dieu qui sont déjà dans le repos et la présence du Seigneur, les justes qui ont été rendus parfaits, mais on célèbre aussi le fait que nous faisons partie du même peuple comme le dit l’épître aux Hébreux:

Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, et de myriades d’anges, réunion de fête, et de l’assemblée des premiers-nés qui son inscrits dans les cieux, d’un Dieu Juge universel et des esprits des justes qui ont été rendus parfaits. (Épître aux Hébreux 12,22-23)

Jean Gobeil SJ

 

2021/10/30 – Lc 14, 1.7-11

Introduction

« Les propos de table » sont un genre dans lequel un sage répond aux questions des convives et donne son avis sur divers sujets. Depuis la Grèce antique, ce genre littéraire s’était répandu chez les philosophes, en particulier dans la société juive à l’époque de Jésus. Issu du monde grec, Luc, particulièrement sensible à ce genre, a colligé les scènes de repas où Jésus dégage d’un fait accidentel un principe pour diriger la conduite humaine.

Dans ces repas, l’ambition des convives se manifestait dans la précipitation des convives pour choisir les meilleures places autour de la table. Avant le banquet, chaque invité s’installait à la place qui, selon lui, convenait à sa dignité, parfois à un niveau plus élevé que celui qu’il méritait, espérant que son hôte n’osera pas le déranger pour lui désigner une place inférieure.

Une stratégie judicieuse

Contrairement à cette manifestation enfantine d’ambition, Jésus conseille aux convives de se comporter avec modestie, en prenant la dernière place. L’hôte qui les invite s’apercevra qu’un de ses invités mérite d’être mieux considéré et d’occuper une place plus élevée. Au lieu d’être confondu à la suite de sa conduite égoïste et ambitieuse, cet humble invité aura la satisfaction de recevoir une attention spéciale de la part de son hôte, qui le conduira à un siège honorable.

L’ambition humaine trouve plusieurs autres manières de se manifester. L’une des plus fréquentes à toute les époques s’étale dans la vantardise. Certaines personnes ne s’intéressent pas à ce que font ou à ce que pensent les autres, mais elles parlent seulement d’elles-mêmes. Elles se complaisent dans leurs réussites, dont elles magnifient souvent les traits pour solliciter l’approbation et l’admiration de leurs auditeurs. Si elles savaient comment ceux-ci les jugent intérieurement. Quand ces vantards ont le dos tourné, les gens se moquent d’eux et de leur fatuité. Ils ont essayé d’occuper les premières places, mais leurs interlocuteurs les relèguent avec les fats.

Le renversement des situations

On pourrait penser que Jésus transmet à ses auditeurs un simple principe social de courtoisie, une manière de se conduire pour être bien considéré et accepté dans une société. Luc cependant introduit l’enseignement de Jésus en lui donnant le titre de « parabole » : « Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole. » Jésus ne se limite donc pas à la seule politesse sociale, mais celle-ci évoque pour lui la manière de se conduire dans un ordre supérieur.

La mort marque la frontière entre deux univers, celui de ce monde-ci et celui du Royaume de Dieu. De l’un à l’autre, les valeurs et les situations sont renversées. Ce thème, cher à Luc, se retrouve à quatre reprises dans le 3e Évangile. Au tout début, Marie l’annonce dans son action de grâce :
« Le Seigneur a mis en déroute les hommes au cœur orgueilleux,
il a renversé les rois de leurs trônes
et il a placé les humbles au premier rang.
Il a comblé de biens ceux qui avaient faim,
Et il a renvoyé les riches les mains vides. » (Lc 1,51-53)

Dans la parabole du riche et du pauvre, Jésus illustre ce thème en décrivant le bonheur de Lazare, après sa mort, dans l’intimité de Dieu, tandis que le riche subit la condamnation et la souffrance. S’adressant au riche, Abraham (c’est-à-dire Dieu) lui dit : « Souviens-toi que tu as reçu beaucoup de biens pendant ta vie, tandis que Lazare a eu beaucoup de malheurs. Maintenant il reçoit ici sa consolation, alors que toi tu souffres. » (Lc 16,25)

Pour enlever leur illusion « ceux qui se croyaient justes aux yeux de Dieu et méprisaient les autres », Jésus leur proposait la parabole qui met en contraste le pharisien et le publicain en prière dans le temple. En conclusion de cette parabole, Jésus répète de nouveau cette même vérité du renversement des situations: « Quiconque s’élève sera abaissé… » (Lc 18,14)

Pourquoi un tel changement de condition? Pourquoi l’orgueilleux se retrouve-t-il au dernier rang, alors que le pauvre est élevé à la première place? C’est que le riche est devenu suffisant, replié et centré sur lui-même, pour découvrir finalement la pauvreté de sa solitude. Le pauvre, au contraire, ne se regarde plus, puisqu’il n’a rien ; il s’ouvre à son Seigneur, qui peut combler son dénuement. C’est pourquoi Jésus déclare que les enfants, les démunis, les marginaux de la société auront les premières places dans le Royaume de son Père.

Jean-Louis D’Aragon SJ

 

2021/10/29 – Lc 14, 1-6

Dans une réunion, nous avons tous tendance de nous joindre à des personnes connues, parents ou amis. Nous préférons converser avec des gens qui partagent nos points de vue, nos idées et même nos préjugés. La conversation est plus facile, sans effort ni discussion. Mais que retire-t-on de telles rencontres ? Aucune idée nouvelle, aucune perspective originale, mais seulement le délassement dans la passivité.

Jésus chez un chef pharisien

Jésus ne craint pas de rencontrer des gens qui ne pensent pas comme lui et qui sont même des adversaires. Il ne veut pas emprunter leurs idées, ni les affronter pour le plaisir de les confondre, mais leur offrir l’Évangile de la liberté. Voulant leur bien, il accepte l’invitation d’un chef pharisien et il a l’audace d’entrer chez lui, sachant bien qu’il sera la cible de tous les assistants, qui chercheront même à le prendre en défaut.

L’enseignement de Jésus se déroule en quatre brefs épisodes, autour d’une table, chez le pharisien qui l’avait invité. Il participe au repas de fête pour célébrer le sabbat, mais que la Loi entoure de prescriptions contraignantes.

Jésus a conscience d’être l’Envoyé de Dieu pour répandre la vérité qui libère et qui permet de vivre dans la sérénité et la paix. Même si les assistants l’observent et l’épient, le Christ domine la situation, affrontant lucidement le soupçon et la critique.

Jésus guérit

Dieu avait créé le sabbat pour que, une fois par semaine, tous les membres du peuple, libres ou esclaves, jouissent d’un jour de repos et de joie. C’était une loi humanitaire, qui marquait un progrès social que les autres peuples de cette époque ne connaissaient pas. L’observance du sabbat était l’un des signes qui distinguaient le peuple élu de ses voisins.

Mais les traditions des Pharisiens avaient accumulé une série de règlements et d’interdictions qui prévoyaient les moindres détails pour observer rigoureusement le repos du septième jour. Ces restrictions, malheureusement, faussaient l’intention du Créateur. Au lieu d’être un jour de joie pour tous, le sabbat était devenue un jour pénible avec 39 interdictions qu’il fallait observer. En revendiquant la liberté humaine, Jésus veut rendre au sabbat sa signification originelle. Il apporte le bien-être et la joie aux malades le jour du sabbat. Jésus établit le principe fondamental qui doit guider tout le monde : « Le sabbat a été fait pour l’homme (son repos et son bien-être), et non pas l’homme pour le sabbat (pour être soumis aux lois du sabbat). » (Marc 2,27) Pour insister sur la volonté expresse de Jésus, Luc rapporte sept incidents au cours desquels Jésus guérit des malades le jour du sabbat, montrant ainsi que le rétablissement du bien-être corporel est le signe de la paix et de la joie.

Provoqué par l’homme atteint d’hydropisie qu’on a placé devant lui, Jésus répond en interrogeant les pharisiens présents : « Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » Ses interlocuteurs ne répondent rien, car ils se trouvent dans un dilemme. S’ils répondent que cette guérison est interdite, ils manquent de sympathie élémentaire envers le malade. S’ils disent qu’il est permis de guérir ce malade, ils s’opposent à la Loi, qui, selon leur interprétation, interdit cette guérison.

L’esclavage de la Loi

Un enfant ou un animal tombant dans un puits ou dans une citerne ouverte était un accident fréquent dans la Palestine de cette époque. Les docteurs de la Loi avaient envisagé toutes les possibilités de sauver l’enfant ou l’animal, tout en observant la Loi. L’imagination de la casuistique se montrait fertile en stratagèmes. Par exemple, on suggérait de jeter des coussins et des couvertures pour que l’enfant ou l’animal se hisse hors du puits par ses propres moyens. Pour d’autres scribes, plus libéraux, la mort imminente de l’enfant ou de l’animal permettait un travail de sauvetage, qui ne pouvait attendre le lendemain. Mais la guérison d’un malade n’était pas un cas urgent, comme le rappelle à la foule le chef d’une synagogue, qui réagit violemment à la guérison d’une femme courbée depuis dix-huit ans : « Il y a six jours pendant lesquels on doit travailler ; venez donc vous faire guérir ces jours-là et non le jour du sabbat ! » (Lc 13,14)

On pourrait penser que ce chef de synagogue avait raison, si on veut observer la Loi. Une guérison n’est pas un cas urgent. Le malade a souffert probablement pendant plusieurs mois ; il peut donc attendre le lendemain du sabbat, un jour de plus, pour être guéri. Pour Jésus, au contraire, la souffrance est inconciliable avec un jour de joie. Pour correspondre à l’intention de Dieu, il convient d’alléger toute souffrance, sans attendre un jour de plus, même si c’est le jour du sabbat.

Conclusion

Jésus proclame par son action et par son enseignement que le Royaume qu’il instaure a pour but la joie pour toute personne qui l’accueille. La Loi est une lumière pour nous diriger, car elle exprime la volonté de Dieu, qui veut nous indiquer le chemin de la vie et du bonheur. Mais La Loi écrite, extérieure à nous, ne contredit jamais la loi inscrite dans notre cœur par le Créateur, que l’Esprit Saint interprète pour notre conscience. Dieu n’a jamais voulu que sa Loi devienne un esclavage pour ses enfants. Saint Paul le rappelle aux chrétiens de Galatie :« Vous avez été appelés à la liberté…. Ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage. » (Gal 5,1.13)

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/10/28 – Lc 6, 12-19

Jésus alla dans la montagne et pria toute la nuit. Le jour venu, il appela ses disciples et en appela douze, et leur donna le nom d’apôtres. Suit la liste des Douze avec pour Judas, la mention, celui qui fut le traître. Avec eux, Jésus descend dans la plaine où il y a beaucoup de ses disciples et une foule de gens venus de partout pour l’entendre et se faire guérir. On cherchait à le toucher parce qu’une force sortait de lui.

Luc mentionne plusieurs fois la prière de Jésus en particulier à l’occasion de moments importants. Jésus est en prière au moment de la Transfiguration. C’est parce que les disciples ont vu Jésus en prière qu’ils lui demandent de leur montrer à prier et Jésus leur donne la prière du Notre Père. Il y aura encore la prière à Gethsémani et ici, avant le choix des Douze.

La mention que Jésus est sur une montagne, alors qu’il n’y a que des collines autour du lac, évoque Moïse sur le Sinaï où il réunit les douze tribus pour donner naissance au peuple d’Israël, le peuple de Dieu. L’appel de Douze, parmi les disciples, confirme le symbole du peuple choisi par Dieu. Marc souligne l’importance du geste de Jésus en répétant:
Il en institua Douze (Marc 3,14) … il institua donc les Douze (3,16).
Ces disciples représentent donc le nouveau peuple de Dieu qui commence.

Cette institution des Douze sera considérée comme l’initiative et le choix de Jésus; on voudra la respecter le plus longtemps possible. C’est pourquoi, après l’Ascension, on remplacera Judas par Matthias qui avait été un disciple depuis le baptême de Jean jusqu’à l’Ascension, ce qui était la condition nécessaire pour satisfaire l’intention de Jésus telle qu’elle est donnée par Marc: les Douze ont été choisis pour être ses compagnons. Mais à mesure que les témoins de toute la vie publique disparaissent, on ne continue pas cette institution. Ainsi lorsque l’apôtre Jacques, le frère de Jean et fils de Zébédée, est exécuté par Hérode Agrippa entre les années 41 et 44, on ne le remplace pas. Mais ce que représente les symbole des Douze ne disparaîtra pas.

Marc donnait deux raisons d’être de l’institution des Douze : pour être ses compagnons (être avec lui) et pour les envoyer prêcher (proclamer).

La première est donc de former une communauté avec lui. La seconde est de participer à sa mission et d’annoncer la Bonne Nouvelle avec force.

Les Douze représente la communauté réunie par Jésus. Cette communauté deviendra l’Église, une communauté qui est réalisée par l’Eucharistie. Saint Irénée verra dans les grains de blé ramassés pour faire le pain et dans les raisins dispersés qui sont maintenant unis dans le vin, les symboles de l’unité qui est réalisée dans l’Eucharistie, la koinônia, la communion faite par le don de l’Esprit grâce au Christ, communion qui donne vie à la communauté.

Jean Gobeil SJ

 

 

2021/10/27 – Lc 13, 22-30

Jésus monte vers Jérusalem en enseignant dans les villes et villages. Quelqu’un lui demande: N’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés? Jésus déclare que la porte est étroite et qu’il faut faire des efforts pour entrer. Il est urgent de faire ces efforts car la porte ne sera pas toujours ouverte. Connaître sans faire d’efforts ne donne pas accès. Et on pourra être remplacé par des gens qui viennent de partout dans l’univers. Des derniers seront des premiers.

Ici commence, dans l’évangile de Luc, la montée de Jésus vers Jérusalem. C’est là que sera le terme et l’accomplissement de sa mission. En chemin, il continue d’enseigner. Dès le début de sa vie publique, l’enseignement avait été un trait marquant pour les foules. Dès le début, les gens étaient frappés de son enseignement, car il enseignait comme ayant autorité (Marc 1,2), et c’était un enseignement nouveau, donné d’autorité (Marc 1,27).

Quelqu’un vient donc lui demander de se prononcer sur une question qui était discutée: le nombre des élus, ceux qui seraient admis au repas dans le Royaume de Dieu (Luc 14,15). Une opinion disait que tous les Israélites auraient part au monde futur tandis qu’une autre soutenait: ceux qui périssent sont plus nombreux que ceux qui sont sauvés.

Au lieu de répondre à la question théorique et discutée du nombre des élus, Jésus parle de comment être sauvé.
La porte étroite où il y a affluence est une image qui indique qu’il faut choisir l’effort au lieu de la facilité: il faut faire quelque chose.

Il ne faut pas attendre: c’est aujourd’hui qu’il faut se presser, comme l’indique l’image de la porte qui ne sera pas toujours ouverte. Cette porte ouverte représente le temps qui est donné à chacun; il faut le prendre. L’évangile de Luc a répété de différentes façons que le Royaume de Dieu n’était pas ailleurs ni dans le futur: il est au milieu de nous et c’est maintenant qu’il faut répondre pour y avoir accès.

Ceux qui, après le temps qui leur était accordé, trouvent la porte fermée et à qui le Christ déclare, Je ne vous connais pas, ce qui signifie vous n’avez pas de part avec moi, sont ceux qui ont vu le Christ. Ils ont entendu ce qu’il disait et ils ont même admiré ses paroles mais ils n’ont rien fait. Ils ont une foi sans les oeuvres, cette foi que l’épître de Jacques appelle une foi morte.

Le passage finit sur une note universaliste: avec les premiers venus, les véritables croyants d’Issraël, il y aura les derniers venus, les païens de partout en dehors d’Israël: ils prendront la place de ceux qui ont refusé le Christ ou de ceux qui ont cru en lui mais n’ont produit aucune oeuvre pour le suivre.
Pour éviter qu’on pense que la simple appartenance à un groupe ou à l’autre procure automatiquement l’accès au Royaume ou son exclusion, au lieu de dire, les premiers seront derniers et les derniers seront premiers, il dit: Des derniers qui seront premiers et des premiers qui seront derniers. Il n’y a ni exclusion ni appartenance automatiques. C’est l’engagement personnel qui compte.

Jean Gobeil SJ

 

2021/10/26 – Lc 13,18-21

Deux paraboles pour illustrer un aspect du Royaume de Dieu: la petite graine de moutarde qui pousse pour devenir un arbre dans lequel les oiseaux viennent nicher et un peu de levain qui fait lever une grosse quantité de farine.

La première parabole se retrouve aussi dans les évangiles de Marc et Matthieu; la seconde, dans Matthieu seulement.

Le sens est le même dans les deux paraboles: le Règne de Dieu a un début modeste dans la communauté chrétienne mais c’est le commencement d’un processus qui aura un grand développement. Luc a situé ces deux paraboles après une attaque par les adversaires de Jésus. Elles fournissent donc un réponse et un encouragement aux communautés qui subiraient les mêmes attaques et qui auraient des doutes ou des inquiétudes sur le Royaume de Dieu.

Le caractère humble et caché des débuts est illustré par la petite graine dans la terre et par le levain caché dans la farine. Pour montrer la grandeur du développement, on a exagéré les deux images: une plante potagère qui devient un arbre et une femme qui utilise la recette d’un boulanger, trois mesures de farine, c’est-à-dire 40 litres! Et le levain fait tout lever.

Mais l’image de l’arbre intéresse Luc. Dans Matthieu, à la suite de Marc, les oiseaux viennent se réfugier dans l’arbre. Dans Luc les oiseaux viennent y demeurer: ils y font leur nid. C’est l’image du Royaume qui rassemble tous les peuples et dont la propagation sera décrite par Luc dans le livre des Actes des apôtres.

La figure du levain évoque non seulement la puissance et la force du Royaume mais encore son action cachée: le levain est toujours invisible. Il en de même pour la présence et l’action du Royaume. On peut voir ses effets mais on ne peut pas le mesurer. Une foi humble a toujours son rôle pour accueillir le Royaume de Dieu.

Jean Gobeil SJ

 

 

 

2021/10/25 – Lc 13, 10-17

Un jour de sabbat, Jésus est en train d’enseigner dans une synagogue. Il voit une femme courbée, ne pouvant se redresser complètement : une maladie attribuée à une action satanique. Le texte précise qu’elle était dans cet état lamentable depuis dix-huit ans. Spontanément, sans qu’elle le lui demande, Jésus la guérit par sa parole performative, « Femme, te voilà libérée de ton infirmité », et par le rite de l’imposition des mains. Le chef de la synagogue désapprouve ce « travail accompli » le jour du sabbat. Jésus riposte en faisant appel à la pratique courante des villageois bien obligés, même le jour du sabbat, de « détacher » leurs bêtes pour les mener à boire. Il pose alors la question : cette « fille d’Abraham » liée par Satan depuis dix-huit ans, fallait-il refuser de la délier le jour du sabbat qui est jour de salut par excellence?

Bien entendu, le chef de la synagogue qui ne s’attendait certainement pas à cet argument n’a pas su que répondre. Peut-être aussi qu’il s’est tu pour ne pas s’attirer l’hostilité de la foule qui approuvait Jésus et « se réjouissait de toutes les merveilles qu’il faisait. » Remarquons que ce légaliste obtus et sans coeur n’était quand même pas totalement isolé, car Jésus ne l’interpelle pas personnellement : il apostrophe un groupe d’« esprits faux » qui, plus loin, sont appelés « adversaires ». Le chef de la synagogue était donc un peu comme le porte parole d’un groupe bien précis que Jésus vilipende collectivement.

À distance, ce groupe nous semble totalement stupide, car le geste de Jésus paraît inattaquable. En fait, l’enjeu n’est peut-être pas « le sabbat ». Si Jésus avait guéri cette femme un autre jour, ses adversaires n’auraient probablement pas applaudi. L’objet de la querelle, c’était tout simplement le pouvoir. Ce que faisait Jésus le rendait populaire auprès des petites gens, mais ses adversaires en devenaient amers car, comparés à lui, « les sondages » les donnaient perdants. Ils contre-attaquaient donc sur le terrain de la loi, mais en faisant cela, ils trichaient en utilisant la loi comme un instrument de vengeance alors que la justice est son but fondamental. Et Jésus a beau jeu de mobiliser contre eux ce détournement éhonté.

Tricher avec la loi n’est pas une habitude caractéristique de la seule époque de Jésus. C’est le sport favori de notre monde contemporain, car ça rapporte. Nous sommes parfois victimes et parfois auteurs ou complices de ce genre de détournement. Nous signons souvent des contrats sans avoir lu des clauses en bas de page et en lettres minuscules qui limitent drastiquement ou annulent carrément les engagements de ceux qui nous vendent leurs marchandises ou leurs services. Nous engageons des avocats futés pour nous éviter d’assumer les conséquences des crimes que nous avons commis. Parfois, c’est l’inverse : des spécialistes du droit sont payés pour établir notre culpabilité alors que nous sommes innocents. Nous mettons nos grandes fortunes dans des paradis fiscaux, privant ainsi nos États de moyens à mettre en œuvre pour le bien-être de nos concitoyens dans le besoin. Nous inventons de nouvelles catégories de prisonniers de guerre, du genre « combattants illégaux », pour nous soustraire aux obligations de la « Convention de Genève » que nous avons pourtant signée.

Qui d’entre nous pourrait jurer de n’avoir jamais cédé au jeu de détourner la loi, la contourner, la dénaturer, l’instrumentaliser en l’interprétant dans le sens de ses intérêts? L’appel à la conversion ne s’adresse donc pas uniquement aux contemporains de Jésus, mais à nous tous qui nous comportons comme eux.

Melchior M’Bonimpa