Skip to main content

2021/09/30 – Lc 10, 1-12

Au chapitre précédent, Luc rapporte l’envoi en mission des Douze. Pourquoi un autre envoi en mission, qui peut sembler une répétition, même si elle est plus développée que la précédente ?

Remarquons que ce sont des disciples, non les apôtres, que Jésus charge de cette mission. Ils sont soixante-douze, nombre qui signifie l’universalité des nations (d’après l’énumération de Gn 10,2-31). Ils rappellent surtout les soixante-dix anciens que le Seigneur ordonne à Moïse de rassembler (Num11,16), plus deux autres qui n’étaient pas venu à cette assemblée (Nm 11,26). « Dieu préleva un peu de l’Esprit qu’il avait donné à Moïse, pour en répandre sur les soixante-dix anciens. » (Nm 11,25) Ces soixante-dix ou soixante-douze furent à l’origine du Sanhédrin, l’autorité suprême des Juifs au temps de Jésus. Cette longue tradition, préludant à ce groupe des disciples, montre l’autorité qu’ils reçoivent de Jésus, leur « Seigneur ».

Ces disciples représentent tous les chrétiens de l’avenir, qui recevront eux aussi l’Esprit Saint à la Pentecôte et qui auront la fonction d’évangéliser le monde. (Ac 2,1-11) Dieu, dans son amour, veut que tous les peuples et tous les humains soient sauvés.

Luc insiste sur cet universalisme du salut, lui qui est d’origine grecque, donc païenne. Cette mission des soixante-douze disciples annonce le Livre des Actes, le second volet de l’ouvrage de Luc, qui décrira le début de cette évangélisation universelle. Notons que, dans les Actes, les principaux acteurs de l’évangélisation, à part Pierre, ne sont pas les douze apôtres, mais Étienne, Philippe, Barnabé et Paul, qui sont des disciples et qui appartiennent probablement au groupe des Hellénistes.

Continuer la mission de Jésus

Les évangiles de Matthieu (28,16-20), de Luc (24,48s ; Act 1,8) et de Jean (20,21) attestent que c’est le Seigneur ressuscité qui envoie solennellement en mission tous les siens. Ils doivent proclamer la victoire du Ressuscité sur la mort, attester sa vie glorieuse et la transmettre par le rite du baptême à tous ceux et celles qui l’accueilleront dans la foi.

Que signifie alors le présent envoi en mission des apôtres et des disciples ? Les trois évangélistes veulent montrer ainsi que l’évangélisation par les chrétiens de tous les temps s’enracine dans le ministère même de Jésus. C’est la mission du Christ Jésus qui se prolonge dans celle de ses disciples. Ce n’est donc pas une fonction reçue de l’extérieur, même si elle provient du Seigneur ressuscité.

Mission difficile

À la suite du Christ, ses disciples ont le devoir d’annoncer que le Règne de Dieu est tout proche. La Source de la vie et de la paix vient habiter au milieu de ses fidèles. Cette proclamation est tellement importante qu’on ne peut se laisser distraire et retarder, en particulier par les longues salutations coutumières en Orient. Les disciples vont deux par deux, car il faut deux témoins pour attester la vérité. Ils parcourent « toutes les villes et localités où lui-même (le Christ) devait aller. » Seule la rencontre personnelle avec le Seigneur établit l’union et la communion qui transmet la vie.

L’union au Christ produit la guérison de tout mal, qu’il soit physique ou moral. En communiquant la vie, le Seigneur, par ses disciples, guérit l’humanité croyante de l’esclavage qu’elle s’est infligée par ses péchés d’injustice et d’égoïsme. Dans le Royaume de Dieu, tous les élus resplendissent de liberté, d’amour et de gloire.

Tâche impossible?

La moisson représente traditionnellement le rassemblement des justes, qui couronnera l’histoire humaine. Les obstacles à une telle mission sont nombreux et, apparemment, insurmontables. Annoncer au monde entier l’Évangile est une tâche impossible pour le nombre infime des ouvriers. C’est uniquement la prière qui obtiendra de nombreuses vocations, non pas seulement de prêtres, de religieux et de religieuses, mais de tout chrétien qui prend conscience de la mission qu’il a reçue à son baptême et à sa confirmation.

L’accueil réservé à ces missionnaires ne sera pas toujours encourageant. Jésus compare ses disciples à des agneaux qui rencontreront l’hostilité des loups. Pour affronter de tels adversaires, Jésus dépouille ses fidèles de tout secours humain : « Pas d’argent, ni sac, ni sandales. » Réduit à une pauvreté radicale, ces missionnaires ne peuvent qu’espérer le secours de leur Seigneur.

Dans les quelques décennies récentes, notre Église a subi un dépouillement complet. Le Seigneur nous a montré que la richesse et le prestige sont une illusion. Une Église riche, fortement structurée et puissante devient trop sûre d’elle-même et ne convertira jamais le monde. Les nombreuses vocations au sacerdoce et à la vie religieuse ont diminué radicalement. L’autorité ecclésiastique a perdu son prestige dans l’ensemble de la société. Les richesses du clergé et des communautés religieuses s’envolent. Nos sanctuaires, désertés, sont devenus un patrimoine lourd à porter. Le triomphalisme n’a plus de base pour se motiver.

Selon les normes de notre société, qui n’apprécie qu’une efficacité mesurable par des résultats tangibles, notre Église s’orienterait vers une réduction, qui serait proche de sa disparition. Et pourtant ! Ce dépouillement progressif ne serait-il pas un signe des temps pour nous ramener au niveau de pauvreté que le Seigneur a voulue pour ses disciples en mission ?

Conclusion

Deux signes des temps s’imposent à nos communautés chrétiennes : l’appauvrissement de l’Église et la rareté des vocations sacerdotales et religieuses. Tout signe des temps porte l’empreinte de la volonté de Dieu. La pauvreté nous ramène aux normes dictées par le Christ à ses missionnaires. Le succès viendra de Dieu seul.

La rareté des vocations traditionnelles oblige notre Église à délaisser le cléricalisme, qui concentrait toutes ses activités dans les mains des prêtres et des religieux. Le Seigneur veut que chaque chrétien et chaque chrétienne prennent vivement conscience de sa responsabilité personnelle, que chacun et chacune est appelé à œuvrer dans le champ de ce monde, à la moisson de Dieu.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/09/29 – Jn 1, 47-51

Les « anges » sont des envoyés en mission par Dieu pour le bien d’une personne ou d’un groupe. Leur nom, qui signifie « messager », indique leur fonction. Les « archanges » appartiennent à un ordre supérieur. Comme ils sont des médiateurs par qui le Seigneur agit, leur nom et leur personnalité sont inconnus, parce qu’ils ne doivent pas attirer l’attention sur eux-mêmes, au point de nous faire oublier que c’est Dieu qui se révèle et agit par eux. À l’époque de l’Apocalypse, l’auteur réagit contre un culte excessif des anges, que certains voulaient adorer (Apoc 19,10 ; 22,8s). Col 2,18 dénonce également « le culte des anges. » Ils sont des serviteurs, qui manifestent la transcendance du Seigneur et sa présence agissante dans le monde.

Seulement trois archanges sont connus par leur nom, ceux dont nous célébrons la fête aujourd’hui. « Michel » dont le nom signifie « Qui est comme Dieu », dirige le combat dans le ciel contre les mauvais anges. (Apoc 12,7s ; cf. Dan 10,13 ; 12,1) Le Seigneur envoie « Raphaël », « Dieu guérit », pour protéger le jeune Tobie, libérer son épouse, Sara, du démon et guérir Tobit, le père, de sa cécité. (Tobit 3,17 ; 12,6-15). « Gabriel » est « l’homme de Dieu », qui annonce à Daniel la venue Fils de l’homme et sa victoire sur les persécuteurs du peuple de Dieu (Dan 8,16 ; 9,21). Il annonce également à Zacharie la venue du Précurseur, Jean Baptiste (Lc 1,19), et surtout à la mère de Jésus, Marie, la naissance du Sauveur (Lc 1,26).

Pour la fête d’aujourd’hui, la liturgie présente le passage de Jean 1,47ss, qui fait allusion aux « anges qui montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme ». Cette image de l’échelle, sur laquelle circulent les anges, évoque leur mission de médiateurs, qui « montent » présenter à Dieu les prières de la terre et qui « descendent » apporter les secours du Seigneur.

La foi de Nathanaël

Quand son ami, Philippe, lui annonce qu’il a découvert Celui que Moïse et les prophètes ont annoncé, le Messie (Jn 1,45), Nathanaël refuse d’accueillir cette invitation. Le scandale de l’Incarnation l’empêche de croire: « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » Un homme qui vient d’un petit village ignoré ne peut être le Messie. Comme tous les Juifs, il attend un Messie fulgurant et glorieux. Nous essayons toujours d’imposer nos projections humaines à la révélation de Dieu. En dépit de ce refus, Philippe persuade son ami de venir vers Jésus. En surmontant son préjugé, Nathanaël franchit un premier pas vers la foi et vers la découverte de la véritable identité de Jésus.
De son côté, Jésus accueille Nathanaël par une preuve de sa connaissance surnaturelle et en lui montrant qu’il le connaît d’une manière profonde. Nathanaël est le véritable représentant d’Israël, non pas comme leur ancêtre Jacob, fourbe et menteur. Face à cette clairvoyance de Jésus, Nathanaël proclame la profession de foi la plus profonde de tous les témoins du Christ dans ce préambule de l’Évangile de Jean (1,19-51). « Rabbi », (Mon Maître), « tu es le Fils (unique) de Dieu », le titre central de Jésus, qui sera développé dans tout l’Évangile. « Le Roi d’Israël », est Celui qui, au nom de Dieu, règnera sur son peuple pour en faire l’unité et lui donner la paix et la vie.

« Tu verras mieux encore »

La foi permettra à Nathanaël d’approfondir toujours plus la personne du Christ et sa mission. À travers Nathanaël, cette promesse s’adresse à tout croyant. Jésus s’adresse d’abord au singulier, à Nathanaël, « Tu verras mieux », puis c’est au pluriel qu’il formule la déclaration solennelle qui suit « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez… », pour signifier que Nathanaël représente tous les croyants de l’avenir. C’est avec les yeux de la foi que le disciple du Christ découvre et connaît toujours mieux le mystère de Dieu et son projet pour le monde. À Marthe, qui ne voit que le cadavre corrompu de son frère, Jésus lui promet : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » (Jn 11,40)

La citation implicite de Gn 28,12, « Les anges de Dieu montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme » rappelle la promesse du Seigneur à Jacob, au moment où celui-ci se trouve dans la plus grande détresse. En songe, Dieu promet un pays à ce fugitif errant et démuni, qui transmettra la bénédiction de Dieu à toutes les nations, comme son ancêtre Abraham (Gen 12,3) et son père Isaac. (Gn 22,18) Jésus affirme solennellement que, maintenant, cette promesse trouve sa pleine réalisation dans la mission du Christ. « Les anges » apportent le secours de Dieu à l’humanité, mais ils descendent et ils montent non plus sur une échelle, mais sur le Fils de l’homme, le parfait et unique Médiateur entre Dieu et l’humanité. Le Prologue de l’Évangile proclamait déjà cette médiation unique: « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique nous l’a révélé « . (Jn 1,18)

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/09/28 – Lc 9, 51-56

Jésus se met en route vers Jérusalem en sachant que ce serait là qu’il serait enlevé de ce monde. Il prend la route la plus directe entre la Galilée et la Judée, celle qui passe par la Samarie. Un village samaritain refuse de l’accueillir parce qu’on a vu qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Jacques et Jean, dans leur indignation demande à Jésus l’autorisation de faire descendre un feu du ciel pour les détruire. Mais Jésus les reprend vivement et le groupe continue vers un autre village.

Les Samaritains avaient eu leur propre temple sur le Mont Garizim jusqu’à la fin du 2e siècle avant Jésus Christ alors qu’il fut détruit pas Jean Hyrcan, roi des Juifs. C’est pour cette raison que les Samaritains ne manquaient pas de faire des représailles contre les Juifs qui allaient vers Jérusalem à l’occasion des fêtes religieuses comme c’est le cas pour Jésus et ses disciples.

Jacques et Jean réagissent vivement au refus du village. Ils sont des fils de Zébédée et faisaient de la pêche à Capharnaüm. Ils avaient leur barque et étaient dits associés ( Luc 5,7) de Simon Pierre qui lui aussi avait une barque de pêche. Ils devaient donc être dans le commerce du poisson avec Simon Pierre, ce qui pourrait expliquer pourquoi, comme Pierre, ils avaient la repartie facile. En bons commerçants, ils avaient l’habitude de calculer: eux (ou leur mère) demanderont à Jésus, avant les autres disciples, d’occuper les premières places dans le Royaume (Marc 10,35). Ils n’aiment pas la compétition non plus : ils ont voulu empêcher quelqu’un d’expulser des démons en se servant du nom de Jésus, parce qu’il ne suivait pas Jésus avec eux (Luc 9,49), dit Jean.

Dans la liste des disciples de Marc (3,17), Jésus leur a donné un surnom, Boanerges, fils du tonnerre. Il ne s’agit pas d’un nouveau nom permanent comme celui de Pierre pour Simon, mais seulement d’une image qui doit correspondre à un trait des fils de Zébédée. Dans notre texte, ils correspondent bien à cette image: ils offrent de faire tomber le tonnerre sur le village pour le détruise! Et pourtant, Jacques et Jean seront, avec Pierre, des disciples favorisés par Jésus.

Jésus prendra les trois avec lui pour qu’ils soient témoins de la résurrection de la petite fille de Jaïre (Luc 8,40). Ce sont les mêmes qui l’accompagneront pour aller prier sur la montagne où il sera transfiguré. Ils seront donc témoins de la gloire de Jésus (Luc 9,28) ce qui était une révélation qui pouvait les réconforter après la première annonce de la Passion. Mais lors de la seconde annonce, tout comme les autres disciples, ils ne comprennent pas la parole de Jésus et ils craignaient de l’interroger. Ils auront à faire face à la Passion, quand Jésus les prendra pour être témoins de son agonie.

Plus tard, Jacques sera le premier apôtre à subir le martyre à Jérusalem en l’an 44. Mais pour le moment, il lui reste à comprendre que Jésus n’est pas venu pour condamner mais pour sauver et que le salut passe par la croix.

Jean Gobeil SJ 

 

2021/09/27 – Lc 9, 46-50

Jésus vient de faire la seconde annonce de la Passion: “Mettez-vous bien en tête ce que je vous dis là: le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes.” Et Luc ajoute que les disciples ne comprenaient pas ce qu’il disait et qu’ils avaient peur de l’interroger. Ils discutaient ensuite entre eux pour savoir qui était le plus grand parmi eux. Jésus met un enfant à côté de lui et leur déclare: “Celui d’entre vous qui est le plus petit, c’est celui-là qui est le plus grand. Celui qui accueille en mon nom cet enfant, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille accueille aussi celui qui m’a envoyé.” A l’annonce que quelqu’un chasse des démons en son nom il déclare: “Ne l’empêchez pas; celui qui n’est pas contre vous est pour vous.”

Les disciples ont peur d’interroger Jésus parce qu’ils ont peur de voir leur rêve s’effondrer. Ils voient Jésus comme le Messie, l’homme choisi et envoyé par Dieu avec la force de l’Esprit; un Messie puissant et triomphant de tous les ennemis. Mais la puissance de Jésus n’est pas une puissance extérieure fracassante; c’est la puissance de l’amour et non la puissance de la domination. C’est une puissance qui peut accepter le chemin de l’humilité.

Les disciples préfèrent revenir à leur rêve du Messie. S’ils se trompent sur la personne de Jésus ils ne peuvent pas avoir une idée juste d’un disciple. C‘est un deuxième rêve: le disciple le plus méritant aura sans doute une place d’honneur et d’autorité aux côtés d’un Messie qui aura fracassé tous ses ennemis. Il y a évidemment un problème de compétition: qui parmi les Douze est le plus grand. C’est ce qui les préoccupe.

Jésus en prenant un enfant essaie de les réveiller. L’enfant est tout petit dans tous les sens. Dans la société de l’époque, l’enfant n’a aucun pouvoir ni aucun droit. Il est socialement sans importance. C’est un petit. Il est l’image de ceux qu’on appelle les pauvres: ceux qui n’ont aucun pouvoir et n’ont aucune importance dans la société. Pourtant Jésus avait déjà dit : “Heureux les pauvres de coeur: le Royaume des cieux est à eux!” Cette béatitude est spéciale: le verbe est au présent. Ce n’est pas dans le futur qu’ils auront le Royaume: c’est maintenant. Ce sont ceux qui savent qu’ils n’ont personnellement rien sur quoi s’appuyer et qui ne comptent que sur Dieu et Dieu est proche d’eux: il est même solidaire d’eux : “Celui qui accueille un de ceux-là m’accueille,” déclare Jésus. Ce sont eux les plus grands et un disciple doit être comme eux.

Les disciples ont encore beaucoup de chemin à faire. Jean est encore préoccupé par la compétition: quelqu’un qui ne fait pas partie du groupe ose chasser des démons au nom de Jésus! Aux deux frères, Jacques et Jean, Jésus avait donné le nom de “fils du tonnerre” (Marc 3,17). Et dans Luc, juste après notre texte, un village samaritain refuse de recevoir Jésus et ses disciples. Jean demande à Jésus : “Seigneur, veux tu que nous ordonnions au feu de descendre du ciel et de les consumer?” Ce n’est qu’après la Passion, quand ils auront reçu l’Esprit Saint, qu’ils comprendront qu’un disciple doit servir et qu’en accueillant les autres il accueille le Seigneur.

Jean Gobeil SJ

2021/09/25 – Lc, 9, 43-45

La première lecture de la liturgie nous présente aujourd’hui une description poétique de la descente de l’être humain vers la mort. L’auteur de l’Ecclésiaste (11,9 – 12,8), un sage, considère la mort avec sérénité et il décrit avec élégance les signes qui révèlent son approche. Mais il n’a aucune espérance dans l’avenir. Tout se termine pour lui dans « la vanité » d’ici-bas. À la mort, il ne reste rien de ce qu’on a vécu de beau et de bien.

Le problème de la mort s’est imposé à toutes les époques et à tous les êtres humains. C’est en apparence la tragédie d’une fin brutale pour toute personne qui aspire normalement à vivre sans limites. Sans la foi, toute personne peut appréhender cette fin comme un trou noir, qui n’a aucun sens. Puisque la mort apparaît désespérante, on essaie de vivre en y pensant le moins possible. Notre société se concerte d’ailleurs pour cacher les signes qui rappellent cette réalité inéluctable : plus d’exposition du défunt dans un salon, crémation pour éliminer au plus tôt le cadavre, brève cérémonie sans signification profonde,…

Jésus annonce sa mort

La mort pourtant est le moment ultime et suprême de notre existence terrestre. Or le terme d’un mouvement, d’une évolution, est le plus important, celui qui couronne et qui donne un sens à tout ce qui précède. C’est pourquoi Jésus a les yeux fixés sur la fin de son existence, qu’il évoque en détail par trois fois dans les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc).

Lorsqu’il délaisse la foule qui le déçoit, pour se concentrer sur l’instruction de ses disciples, Jésus concentre son enseignement sur ces trois annonces de sa mort et de sa résurrection. Mais, chaque fois, les évangélistes notent que les disciples ne comprennent pas cet enseignement et, même, qu’ils ne veulent pas comprendre ce qui contredit leurs rêves humains et nationalistes.

Après la première annonce (Mt 16, 21-23), Pierre s’insurge vivement contre cette destinée de son Maître, le Messie. Jésus, à son tour, le traite de « Satan », parce que Pierre répète la troisième tentation du diable (Mt 4, 8-10), qui contredit la mission divine que Jésus a reçue de son Père. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus annonce pour la deuxième fois la tragédie qui l’attend à Jérusalem, mais les disciples ne comprennent pas et ne veulent pas connaître la vérité en interrogeant leur Maître. Après la troisième annonce de sa mort (Mt 20,17-19), Jacques et Jean demanderont les premières places dans le Royaume d’un Messie qu’ils attendent triomphant. Les dix autres disciples manifesteront la même ambition.

Dieu livre son Envoyé

L’action de « livrer » le Christ Jésus est attribué dans les évangiles à Dieu et…à Judas. Pourquoi cette trahison de l’apôtre, livrant son Maître, est-elle également rattachée à Dieu ? Voilà le mystère du plan de salut que Dieu réalise à travers la faute ignoble de la trahison d’un apôtre. « Dieu écrit droit avec des lignes croches. » (Paul Claudel) Quand on désespère de notre humanité et de nous-mêmes, nous pouvons toujours espérer que le Seigneur accomplira son projet de vie en dépit des injustices révoltantes de notre monde.

Le Dieu que Jésus nous a révélé est bien le Seigneur tout-puissant, mais il n’est pas un potentat dominateur, il n’est pas un super Jupiter. Sa toute-puissance n’est pas une force brutale. C’est l’amour de Dieu qui est tout-puissant, qui se donne, qui se « livre » dans l’Incarnation de son Fils et qui se « livre » à nous dans chaque eucharistie. Dieu est infiniment grand, mais il est le plus grand dans le service par amour. « Vous m’appelez Maître et Seigneur » et pourtant je vous ai lavé les pieds, comme le ferait un esclave (Jn 13, 13-15).

Le sens de la mort chrétienne

Les disciples de Jésus représentent notre humanité, qui essaie de se cacher la fin de son pèlerinage sur terre, qui considère la mort comme la tragédie inéluctable et scandaleuse. L’attention de Jésus, au contraire, se fixe sur la fin de sa vie, qui semblera marquer la faillite complète de sa mission. Il nous enseigne que la fin de notre existence est le sommet qui donnera un sens à tout ce que nous aurons vécu.

Aucune philosophie, ni aucune théologie, en dehors de l’Évangile, n’ouvre une issue à la tragédie de la mort, l’angoisse centrale de toute vie humaine. Jésus nous a montré que la mort, librement acceptée dans la confiance et l’amour, ouvre à la présence de Dieu. La mort nous vide de nous-mêmes et de notre égoïsme pour accueillir l’Amour transcendant. La croix nous dépouille de tout, elle nous réduit à la plus profonde pauvreté. Dans la première béatitude, la plus fondamentale, celle des pauvres, le Christ a promis à ces bienheureux d’entrer dans le Royaume de la vie, de la joie et du bonheur.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/09/24 – Lc 9, 18-22

Après avoir accompagné leur Maître pendant un certain temps, les disciples ont pu soupçonner le mystère de sa personne. En contraste avec la foule qui est simplement enthousiaste, ils croient que Jésus parle et agit au nom de Dieu, qu’il est un envoyé du Seigneur. Pour que ses disciples parviennent à cette foi, Jésus « prie à l’écart ». La prière de Jésus attire souvent l’attention de l’évangéliste Luc, qui la mentionne toujours juste avant un moment significatif dans la mission du Christ. La mention de cette prière ici montre que la profession de Pierre, au nom des autres disciples, élève ceux-ci à un niveau nettement supérieur à celui des gens ordinaires. La prière de Jésus leur procure la foi, cet accueil de la révélation de Dieu: « Ce n’est pas un être humain qui t’a révélé cette vérité », déclare Jésus à Pierre, « mais mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 16,17)

Les opinions des gens

Tout ce qui vient de Dieu déconcerte: « Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes voies ne sont pas vos voies. » (Is 55,8) Ses interventions dans l’histoire sont mystérieuses. Les contemporains de Jésus perçoivent bien en lui un certain reflet du divin, mais ils n’atteignent pas le coeur de sa personne. Sans le don de la foi, il est impossible d’atteindre l’ineffable. Leurs opinions vont dans différentes directions, mais toujours pour assimiler Jésus à un personnage célèbre du passé.

Jean Baptiste avait tellement impressionné les gens qu’il n’était pas disparu, pensaient-ils, même après la nouvelle que le roi Hérode l’avait exécuté. Élie, de son côté, n’était pas mort, car un char de feu l’avait emporté vers le ciel. Ces opinons populaires étaient évidemment erronées, car ces personnages étaient morts et n’étaient pas revenus sur terre. En un sens pourtant, les gens avaient raison, car ces envoyés de Dieu avaient suscité une vague de foi en Dieu, qui se perpétuait dans le temps. Le Seigneur s’était révélé en eux et leur influence ne s’était pas arrêtée avec leur mort.
Depuis deux mille ans, le mystère de la personne de Jésus continue d’interpeller et de déconcerter le monde. Tout en l’admirant, les gens cèdent sans cesse à la tentation de le réduire à l’image limitée de leurs rêves: il aurait été un révolutionnaire, un sage,…

La profession de Pierre

Jésus délaisse les opinions du peuple pour s’adresser à ses disciples, qu’il veut élever à un registre différent: « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » La réponse devrait venir du groupe des disciples, mais c’est Pierre qui répond en leur nom: « Tu es le Messie de Dieu, » celui qui a reçu l’onction, celui qui, en vertu de ce signe, appartient à Dieu et le représente. Après s’être soumis humblement au baptême de Jean, « L’Esprit descendit sur lui (Jésus)…et une voix se fit entendre du ciel: Tu es mon Fils bien-aimé; je mets en toi toute ma joie. » (Lc 3,22) Il est Celui vers qui toute l’histoire du salut converge, Celui qui a mission de transfigurer notre humanité par une existence nouvelle. Le Messie accomplit la fonction de ceux qui, dans l’histoire ancienne, recevaient l’onction, les rois, qui avaient le devoir de rassembler le peuple dans l’unité.

Seule la lumière de Dieu nous éclaire sur la personne de Jésus. Le Christ le déclare à Pierre après sa profession de foi: « C’est mon Père qui te l’a révélé ». Il affirme solennellement que personne ne connaît par lui-même, ni le Père, ni le Fils: « Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et ceux à qui le Fils veut le révéler. » (Mt 11,27)

Un Messie humilié et rejeté

Comment aurait-on pu imaginer l’Envoyé de Dieu condamné par les autorités de son peuple, livré aux païens et crucifié? Toujours inspiré par l’imagination humaine à courte vue, on se représentait la figure du Messie comme un chef de guerre, triomphant de tous les ennemis d’Israël. Jamais on n’aurait pensé qu’il puisse venir dans notre monde comme un enfant, pauvre et démuni. Comment admettre qu’il sortirait de cette province méprisée, la Galilée? (Jn 7,52) Saint Paul le constate: « Les Juifs demandent des miracles (la puissance éclatante), tandis que les Grecs recherchent la sagesse (ce que la raison peut comprendre). » (1 Cor 1,22) Pour le monde qui se pense croyant, Dieu est le Tout-puissant qui domine l’univers et qui peut tout bouleverser en un instant. Il serait un Zeus, un Jupiter ou un Baal, mais infiniment plus puissant, indépendant de l’univers qu’il contrôle et dirige.

Jésus nous apprend que Dieu est tout-puissant, non pas comme une force extérieure qui écrase, mais à l’intérieur du monde, en chacun(e) de nous, par son amour. Sur sa croix, Dieu présent dans son Fils est l’Amour qui se livre, qui se donne. Tel est le mystère de notre salut. On comprend que Jésus défende à ses disciples de révéler immédiatement ce mystère, sans précaution, car le peuple autour de lui le rejetterait comme une folie ou le déformerait selon ses préjugés.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/09/23 – Lc 9, 7-9

La mission des douze disciples dans les villes et villages de Galilée précède immédiatement ces réflexions du peuple et d’Hérode au sujet de Jésus. Les disciples ont proclamé l’Évangile et fait connaître la personne de Jésus. La ferveur nationaliste, et même révolutionnaire, fermentait dans toutes ces localités, qui étaient hostiles à Hérode, le valet des Romains,. Aussi Hérode craignait tout nouveau mouvement populaire, qui pouvait devenir subversif. Même Jean Baptiste, qui prêchait la conversion loin de la Galilée, près du Jourdain, dans le désert, avait provoqué sa peur et son hostilité. Il pouvait craindre encore plus Jésus, dont l’activité missionnaire se déroulait en plein coeur de la Galilée, ce foyer des révoltes contre l’autorité politique. Quand on n’a pas la foi, comme Hérode, c’est le soupçon qui tourmente le coupable.

Jésus est un mystère

Après avoir fait exécuter Jean Baptiste, Hérode entend parler de Jésus et se pose des questions sur ce nouveau personnage. Au fond de lui-même, il souffre de remords : il a eu l’illusion de se débarrasser de Jean, mais l’activité de Jésus ressuscite pour lui la figure de Jean. On ne libère pas sa conscience avec une action brutale. La punition vient de notre conscience, qui nous juge.

La personne de Jésus, comme sa mission qui vient de Dieu, est un mystère. Aussi certains pensent que Jésus est une réincarnation de Jean, ou du prophète Élie ou d’un autre prophète d’autrefois. Pour comprendre le présent, on se réfère tout naturellement à ce qu’on connaît, au passé et à ses figures éminentes. À toutes les époques, on a tenté de comprendre la personne de Jésus avec des critère humains, alors qu’on ne peut le connaître qu’avec les yeux de la foi éclairée par l’Esprit. En dehors de la foi, Jésus ne peut être qu’une énigme déconcertante et incompréhensible.

Hérode est un assassin curieux et en proie au remords. Il n’a ni la foi, ni le minimum d’empathie pour comprendre un envoyé de Dieu. Aussi Jésus ne lui répondra rien quand, au moment de la passion, il comparaîtra devant lui (Lc 23,9).

Jésus dérange

« Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins », déclare le Seigneur (Is 55,8). Les prophètes, que Dieu a envoyés et qui parlèrent en son nom, ont toujours ouvert des perspectives qui ont déconcerté le peuple. De même, et encore plus que tous les prophètes, Jésus ouvre des horizons infinis devant nous et il nous met en question, exigeant de nous la conversion, un changement radical.

Les prophètes et Jésus ont subi la persécution, parce qu’ils dérangeaient la routine et la paresse dans laquelle chacun s’est installé. Personne n’aime être dérangé et obligé de remettre en question sa conduite et sa personne. Hérode a essayé de réduire Jean au silence. Il voudra s’en prendre également à Jésus, que des Pharisiens avertiront : « Pars d’ici, va-t’en ailleurs, car Hérode veut te faire mourir. » (Lc 13,31)

Conclusion

Dans une prière, on s’adresse à Dieu, « Toi qui viens me déranger. » C’est la prière du croyant, qui sait à l’avance que le Seigneur va le déranger, par un signe, une épreuve, une maladie,… En toute confiance, il remet sa personne entre les mains de son Père, qui veut son bonheur mieux et plus que lui-même. Il est convaincu avec Paul que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qu’il aime » (Rom 8,28).

Sans la foi, tout devient énigme incompréhensible et parfois révoltante. Il faut croire pour comprendre. La promesse de Jésus à Marthe se réalise alors : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » (Jn 11,40).

Jean-Louis D’Aragon SJ

202/09/22 – Lc 9, 1-6

Jésus appelle les Douze. Puis il leur donne pouvoir et autorité sur les esprits mauvais et pouvoir de guérir les maladies. Ensuite il les envoie proclamer le règne de Dieu et faire des guérisons. Il leur donne comme instructions de ne rien emporter avec eux et de se contenter de l’hospitalité qui leur sera donnée. Les disciples partent remplir cette mission de village en village.

Les Douze ont vu Jésus à l’œuvre. Ils l’ont vu opérer des guérisons et même rendre la vie à la petite fille de Jaïre. Ils l’ont vu affronter et vaincre les démons. Mais toutes ces choses étaient des signes de ce qu’il était venu annoncer dans les villes et les villages (Luc 8,1): la Bonne Nouvelle de la venue du Règne de Dieu.

Maintenant Jésus veut les associer à son œuvre. Pour cela il les pourvoit de ses propres pouvoirs. Il leur donne autorité sur les démons pour faire des exorcismes et des pouvoirs de guérison. Comme pour lui-même, ce sont là des signes de l’essentiel: la venue du Règne de Dieu qu’ils doivent annoncer.

Cette mission est un commencement pour eux; c’est une anticipation de leur mission plus tard quand ils auront reçu l’Esprit et découvert plus profondément qui est Jésus. C’est peut-être pour cette raison que Luc dit qu’ils sont allés dans les villages, alors que Jésus, lui, avait proclamé dans les villes et villages. Mais il reste que leur mission a eu des effets réels et que des rapports sont parvenus aux oreilles d’Hérode Antipas qui va commencer à s’inquiéter (Luc 9,7).

Avant de les envoyer, Jésus leur donne des instructions très exigeantes d’ailleurs. Elles indiquent que la foi et la confiance en la Providence sont absolument nécessaires pour reconnaître l’action de Dieu à travers des instruments humains.

La mission de Jésus a été confiée aux Douze pour être continuée. Plus tard, avec la mission des soixante-douze (Luc 10,1), l’évangéliste indiquera que cette mission est aussi celle de chaque disciple. La même confiance en la Providence sera demandée. Elle est en fait un test pour la foi et elle sera rappelée souvent, à commencer par le sermon sur la montagne dans Matthieu qui rappelait aux disciples que si Dieu prend soin de nourrir les oiseaux et de vêtir les fleurs combien ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi (Matthieu 6,26-30). C’est la même instruction qu’on retrouve dans la première épître de Pierre : de toute votre inquiétude, déchargez-vous sur Dieu, car il a soin de vous. (1 Pierre 5,7).

Jean Gobeil SJ 

2021/09/21 – Mt 9, 9-13

Jésus en sortant de Capharnaüm appelle Matthieu, un collecteur d’impôt, à le suivre. Il se lève immédiatement et se met à sa suite. Suit la scène d’un repas (peut-être dans la maison de Matthieu), dans lequel Jésus et ses disciples mangent avec des publicains et des pécheurs. Des pharisiens demandent aux disciples pourquoi Jésus mange-t-il avec ces gens. Jésus a entendu et répond en déclarant qu’il est venu pour ceux qui avaient besoin de lui, comme un médecin pour les malades. Jésus conclut par une citation du prophète Osée: C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice.

C’est un moment important de la vie du Christ. Ce qu’il choisit de faire est révélateur de sa mission et de sa personne. Il avait dû faire des choix importants auparavant. Le premier est sans doute sa position par rapport à Jean Baptiste.

Jean avait prêché et baptisé au Jourdain, près d’une source. Sa renommée l’avait rendu célèbre et les gens se déplaçaient pour aller l’entendre et recevoir son baptême. Jésus commencera son ministère près de Jean Baptiste. C’est là qu’il connaîtra certains disciples de Jean qui deviendront ses disciples à lui. Mais très vite Jésus adoptera une méthode différente de celle du Baptiste. Au lieu d’attendre que les gens viennent à lui il ira vers les gens. Il sillonnera la Galilée; il ira occasionnellement en territoire païen, de l’autre côte du lac ou au nord de Capharnaüm dans le territoire d’Hérode Philippe. Il a donc choisi de ne pas être limité géographiquement. Son message aussi sera différent de celui de Jean.

Jean avait annoncé un puissant envoyé de Dieu qui viendrait faire un jugement et condamner les mauvais: ils seraient jetés au feu comme la paille inutile ou coupés à la hache comme le bois mort. La hache, disait-il, est déjà à la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. (Matthieu 3,10) Jésus, lui, annonçait qu’avec sa présence le Royaume de Dieu était arrivé et qu’il n’était pas venu juger ou condamner mais bien chercher et sauver ce qui était perdu. (Luc 19,10) Il ne veut donc pas être limité par une perspective de jugement, de rétribution, de condamnation.

Or, dans notre texte, Jésus montre qu’il a choisi de ne pas être limité par des frontières ou des délimitations sociales ou religieuses. La société de Jésus ne manque pas de compartiments où sont groupés des gens qui sont soigneusement isolés du reste de la société. Ce sont des marginaux qui sont considérés ou bien comme pécheurs à cause de leur conduite morale ou bien impurs en raison de leur maladie contagieuse comme la lèpre et les affections de la peau, ou bien impurs comme les bouchers à cause de leurs contacts avec le sang, comme les métiers de transport, chameliers et matelots, à cause de leurs contacts avec les païens et bien d’autres. Ces gens sont exclus de la société et doivent être évités. Qu’on se rappelle au procès de Jésus, les prêtres qui refusent d’entrer au palais de Pilate pour ne pas contracter d’impureté qui les empêcherait de célébrer la Pâque le soir de ce vendredi-là. Et l’endroit où il faut absolument éviter des impurs c’est la table. Qu’on se rappelle encore la réaction de l’église de Jérusalem qui demande des explications à Pierre. On n’est pas surpris qu’il ait baptisé. Corneille, un centurion romain, mais on lui demande comment il a pu oser aller manger chez lui!

Or Jésus choisit comme disciple un collecteur d’impôt, un métier impur. En faisant cela, il vient de détruire une frontière de la société. On devine le choc par la réaction des autres collecteurs d’impôt: ils se sentent acceptés puisqu’il a accepté Matthieu. Et les voilà tous rendus chez Matthieu où se trouve Jésus. D’autres s’objectent, les pharisiens. Mais Jésus leur déclare que c’est la miséricorde qui a la priorité et non les prescriptions de la société statuant ce qui est religieusement correct.

C’est le choix de Jésus: les pauvres, les petits dont parlait l’Ancien Testament, pour Jésus ce seront ces marginaux laissés de côté par la société.

Jean Gobeil SJ 

2021/09/20 – Lc 8, 16-18

Au premier regard, ce bref évangile est désarmant, déconcertant. On a l’impression que Jésus ne parle pas pour se faire comprendre. On peut bien sûr saisir le premier morceau du discours au premier degré : c’est effectivement absurde d’allumer une lampe si l’on ne veut pas qu’elle éclaire. Mais qu’entend Jésus par « Rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour; rien n’est secret qui ne douve être connu.. »? Ou encore, que peuvent bien signifier ces affirmations paradoxales : « …celui qui a recevra encore; et celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il paraît avoir?» En fait, le texte ne révèle son sens que quand on sort de Luc pour chercher une clé d’interprétation ailleurs.

De toute évidence, dans ce passage, Luc reprend Marc en l’abrégeant (Mc, 21-25). Cela permet de comprendre d’abord que c’est ce raccourci qui rend difficile le texte proposé aujourd’hui à notre méditation. On saisit ensuite que le passage évoque ce que les spécialistes de Marc ont appelé « le secret messianique. » La lumière dont parle Jésus n’est rien d’autre que lui-même, le Fils d’amour, le Révélateur, le Messie. C’est lui, la lampe qui luit au fond d’un lieu obscur et qui dissipe les ténèbres pour éclairer à jamais la nuit du monde.

Chez Marc, ce discours est adressé aux disciples, non pas à « la foule ». Jésus leur fait des confidences. Il leur révèle un secret qui, un jour, sera proclamé sur les toits. Ce qui est encore caché au monde, il le transmet uniquement au cercle de ses intimes car ce sont eux qui devront faire connaître le secret et le révéler « au grand jour ». Par là, Jésus annonce déjà le temps de l’Église : le temps de la mission où ceux qui auront appris le secret devront le transmettre au monde, à leurs risques et périls. Et quand leur « inintelligence » ne leur permet pas de comprendre, Jésus prend la peine de leur donner des explications en un langage moins énigmatique. Cette stratégie se justifie par le fait que le danger est partout. Les représentants de la loi conspirent pour perdre Jésus. Ce dernier sait qu’ils finiront par l’avoir, mais ils arriveront trop tard car il aura déjà transmis le secret.

Si l’on prend cet angle d’attaque, même les deux phrases paradoxales de la fin deviennent compréhensibles. « Celui qui a recevra encore. » De qui s’agit-il? Très probablement, de celui qui a reçu le secret, qui a compris que Jésus est la lumière et, qui est dans les bonnes dispositions pour en savoir davantage. Quant à celui qui n’a rien, et qui risque de perdre même ce qu’il croit avoir, on devine qu’il s’agit du conspirateur qui se range parmi ceux qui cherchent à rayer Jésus du nombre des vivants. Ce qu’il croit avoir, c’est la loi de Moïse qui le rend sourd et aveugle. Car il croit que la loi a été donnée une fois pour toutes aux fils de la promesse. Il perdra tout car la nouvelle loi, la nouvelle alliance rend caduque toute discrimination. C’est une autre manière de répéter à ceux qui refusent de se convertir en prétextant qu’ils ont Abraham pour père : « Car, je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants d’Abraham » (Lc 3, 8). Aujourd’hui, c’est à nous que s’adresse cette sévère mise au point : nous, juifs, chrétiens et musulmans qui, comme au temps de Jésus, croyons encore que le seul titre de « fils d’Abraham » suffit au salut.

Melchior M’Bonimpa