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2021/04/08 – Lc 24, 35-48

Les disciples d’Emmaüs sont revenus à Jérusalem et racontent aux Onze ce qu’ils ont vécu. Soudain, Jésus est au milieu d’eux.

Hier, nous avons entendu les Onze dirent aux disciples qui revenaient d’Emmaüs: “C’est vrai, le Seigneur est ressuscité, il est apparu à Pierre.” C’est la première proclamation par les Onze.

Avant cela, il y avait les femmes qui avaient eu la vision de deux anges éblouissants qui leur avaient demandé: “Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts?”

Elles avaient rapporté cela aux Onze. “Et les autres femmes qui étaient avec elles (les 3) le “disaient” aux apôtres (= “répétaient”) mais ces propos leur semblèrent du radotage et ils ne les crurent pas.” (24,10-11)

Parmi eux, il y avait les deux disciples qui allaient partir pour Emmaüs. Quand Pierre a sa vision, alors les autres acceptent qu’il ait bien vu le Christ.

On est bien avant la Pentecôte et les apôtres ont beaucoup de chemin à faire. D’ailleurs, juste avant l’Ascension (Ac.1,8), il y en a qui demandent encore: “Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël?” Ils sont encore avec l’idée d’un Messie politique: ils pensent encore à faire des référendums!

La vision de Pierre, dont on a aucune description, est certainement une très vieille tradition puisque Paul, dans sa liste des visions du Christ ressuscité (1 Cor.15), lui donne la première place. C’est cette vision qui convainc le reste du groupe des Onze et ainsi Pierre remplit le rôle que Jésus lui avait promis “d’affermir ses frères” (22,32).

C’est important de remarquer que dans cette première proclamation, “le Seigneur est ressuscité”, il y a les Onze et leurs compagnons qu’on retrouve encore au début du texte d’aujourd’hui. Ils vont eux aussi être témoins de la vision du Christ ressuscité. Cet élargissement des participants de l’expérience pascale intéresse Luc parce que c’est une anticipation de ce qui arrivera dans le livre des Actes où on voit des missionnaires qui témoignent ou proclament le Christ ressuscité et qui n’appartiennent pas au groupe des Douze, comme Barnabé, comme les diacres hellénistes. Ils auront un rôle important dans l’expansion de l’Église hors de Jérusalem.

Les disciples d’Emmaüs racontent leur expérience et tout à coup Jésus est au milieu d’eux. “La paix soit avec vous.” C’est une parole pour calmer leur peur. Un bon nombre de manuscrits ont comme parole de Jésus: C’est moi, ne craignez pas: la paix soit avec vous. Ceci nous indique le sens du mot paix ici, car ailleurs paix comme équivalent de shalom veut dire beaucoup plus que cela.

Jésus commence par les rassurer: et ils en ont besoin. Mais le Christ doit aussi leur faire accepter que cette vision est réelle et que celui qu’il voit est bien la même personne que celui avec qui ils ont vécu. Pour cela il est obligé de leur faire une démonstration.

Une fois cette démonstration faite, il fait pour le groupe ce qu’il avait fait pour les disciples d’Emmaüs: “Il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures.”

Jésus leur dit, en conclusion: L’Écriture annonçait la conversion de toutes les nations en commençant par Jérusalem. C’est vous qui en êtes les témoins.

C’est la mission de témoigner. Le livre des Actes des apôtres fera la description du cheminement de cette proclamation comme une montée de Jérusalem jusqu’à Rome. Avec la parole arrivant à Rome qui est le centre de l’empire, la mission est virtuellement réalisée. Et cette mission est maintenant nôtre.

Avec la célébration de la résurrection du Seigneur nous pouvons écouter la parole de Pierre dans l’antienne de la communion: Nous sommes le peuple qui appartient à Dieu; nous sommes chargés d’annoncer les merveilles de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, alléluia.

Jean Gobeil SJ 

2021/04/07 – Lc 24, 13-35

Les disciples d’Emmaüs: deux disciples sont en chemin. Ce chemin va être pour eux un cheminement spirituel qui est un modèle de la pédagogie divine et qui peut être vu aussi comme un exemple du cheminement qui se fait dans le discernement spirituel.

Les deux disciples sont en chemin. Ils sont partis de Jérusalem et vont vers un endroit qui est obscur: Emmaüs. Des manuscrits disent que c’était à 60 stades de Jérusalem (d’où le “deux heures de marche”); d’autres disent 160 stades (19 miles).
Aujourd’hui on est incapable d’identifier l’endroit. Ce qui correspond bien à la situation historique des deux disciples. C’est très dangereux d’être associé à quelqu’un qui a été exécuté par Pilate. Jésus est mort et ce qu’il représentait est mort avec lui. Le plus prudent est de se faire oublier et d’aller se perdre dans le paysage. C’est ce que font ces deux disciples en s’éloignant de Jérusalem.

Mais en route, c’est de lui qu’il parle. “Ils parlaient et discutaient.” Et ils avaient l’air sombre: c’est la remarque que Jésus va leur faire. Pour eux tout ce qu’ils espéraient, le libérateur d’Israël, la libération, tout s’est effondré.

Jésus s’approche, il les rejoint, et marche avec eux.
“Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.”
Empêchés par quoi?
Jésus ressuscité n’est pas simplement revenu à la vie qu’il avait avant la Passion comme l’a fait Lazare ou la petite fille de Jaïre. Il est dans la vie nouvelle. On ne peut le reconnaître qu’après avoir été introduit dans le mystère de sa mort et de sa résurrection et c’est ce que Jésus va faire avec les Écritures.

Jésus demande: « Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant? »

La question de Jésus semble comporter une image qui ferait une référence à la façon rabbinique de discuter. On a essayé la traduction suivante:
“Quelles sont ces paroles que, l’un avec l’autre, vous jetez pêle-mêle en marchant?”
Ils discutaient sans arriver à une conclusion. Dans tous ces événements concernant Jésus il n’y a rien à comprendre.

“Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre.”
Tout discernement suppose qu’on s’arrête; et on ne s’arrête pas seul: il faut quelqu’un qui serve de miroir.

Ce qui suit dans la réponse de Cléophas est une description objective, comme un résumé de journal. Il y a seulement l’exception, à la fin: la réaction émotive de celui qui parle:
“Et nous nous espérions que ce serait lui qui allait délivrer Israël.”
C’est donc la vision extérieure des événements: ce sont des paroles humaines.

C’est la première étape du discernement: les éléments objectifs qu’on peut trouver mais aussi les réactions subjectives, les frustrations, les blessures. En somme un ensemble de pièces détachées comme les pièces d’un puzzle où on voudrait bien trouver une façon d’unifier cela, pour saisir un sens ou une direction. Les deux disciples en sont incapables même s’ils continuent à chercher.

Après les paroles humaines, l’étape qui va suivre est celle de l’écoute. Jésus va leur faire écouter les paroles de la Bible à son sujet. Et peu à peu leur coeur va se réchauffer car ces paroles ne sont pas simplement des informations: elles parlent au coeur. Il ne faut pas simplement les entendre, il faut rester avec elles. C’est pour cela, par exemple, que la répétition des chants qui sont imprégnés de la Bible ne sont pas des répétitions mais une écoute prolongée qui pénètre et fait découvrir. Ce réchauffement s’est fait peu à peu; c’est seulement après qu’ils s’en rendent compte. C’est un cheminement.

A la lumière des Écritures ils pourront le reconnaître par le geste qu’il va faire. Mais le geste de la fraction du pain est une réponse à ce qu’ils viennent de demander:
“Reste avec nous car le soir vient et la journée est déjà avancée.”
C’est la fraction du pain qui est la réponse finale à cette demande. Jésus n’a plus besoin d’être visible: il est là.

Le dénouement du discernement des deux disciples est qu’ils reprennent le chemin, mais dans la direction opposée, pour aller retrouver la communauté de Jérusalem et faire leur témoignage.

Jean Gobeil SJ 

2021/04/06 – Jn 20, 11-18

Marie Madeleine est allée au tombeau, tôt le dimanche matin. Elle a découvert le tombeau ouvert et le corps de Jésus disparu. Après être allée avertir les disciples, elle est retournée au tombeau où elle pleure. Elle voit à l’intérieur du tombeau deux anges qui lui demandent pourquoi elle pleure. Elle répond: On a enlevé mon Seigneur et mon Maître. Dans le jardin, Jésus qu’elle ne reconnaît pas lui pose la même question. Elle lui dit: Si c’est toi qui l’as pris, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le chercher. Jésus l’appelle par son nom et alors elle le reconnaît et lui dit en araméen: Rabbouni, Maître, un titre plus solennel que Rabbi. C’est sa profession de foi: elle a retrouvé son Maître. Elle reçoit du Christ la mission d’aller annoncer aux disciples, qui sont maintenant ses frères, l’Ascension qui vient, le retour au Père.

Marie de Magdala a une place importante dans les évangiles. Elle apparaît pour la première fois avec un groupe de femmes qui avaient été guéries de possessions ou de maladies et qui suivaient Jésus. On précise pour Madeleine qu’elle avait été libérée de sept démons ce qui peut signifier une maladie importante. Ces femmes suivaient Jésus et les Douze et les assistaient de leurs biens. (Luc 8,1-3). Des femmes qui suivaient un rabbin et ses disciples, ce n’était pas une chose régulière et elles ont dû accepter d’être marginalisées par rapport à leur milieu; comme les disciples, elles avaient accepté de quitter ou au moins de prendre une certaine distance vis-à-vis de leur milieu de vie.

Elles accompagneront Jésus pendant son ministère en Galilée et le suivront en Judée: elles seront présentes au Calvaire où elles sont mentionnées par les quatre évangélistes. A cette occasion, Marc, Matthieu et Jean mentionnent explicitement Madeleine. Ces femmes suivirent Joseph d’Arimatie qui allait déposer le corps de Jésus au sépulcre. Ensuite, elles allèrent préparer les aromates et les parfums pour compléter l’ensevelissement mais durent attendre vu que le sabbat commençait.

Après le sabbat, le dimanche matin, Madeleine retourne au tombeau et découvre qu’il est ouvert et vide. Elle va avertir les disciples et revient encore au tombeau. C’est là qu’elle pleure et qu’elle pense que le corps de Jésus a été enlevé. Elle est prête à aller le chercher. Elle est certainement pour l’évangile de Jean un modèle de disciple. Elle a une foi qui ne s’arrête pas avec la mort et c’est une foi aimante. C’est son amour qui lui fait reconnaître le Christ quand il prononce son nom et lui répond: Rabbouni. Elle a dû répéter bien souvent ce titre pour que l’évangéliste ait conservé ce mot araméen que ses auditeurs ne comprenaient pas. C’est le titre qui contient toute la foi, la fidélité et l’amour d’un vrai disciple.

En plus d’être la première à voir le Christ ressuscité elle est la première à recevoir une mission, le rôle d’un disciple.

Le texte du Cantique des cantiques qui précédait l’évangile, « J’ai trouvé celui que mon cœur aime, je l’ai saisi et ne le lâcherai point » (Ct 3,4a) illustre bien la profondeur de cette rencontre de Madeleine avec le Christ ressuscité:
Celle qui a perdu celui que son coeur aimait se met activement à sa recherche. Quand finalement elle l’a trouvé, elle l’a saisi et ne le lâchera pas.

Jean Gobeil SJ

2021/04/05 – Mt 28, 8-15

Aucun texte d’évangile ne serait plus approprié que celui-ci pour un lundi de Pâques. Mais le passage qu’on nous propose commence de façon bizarre. Il n’est compréhensible qu’en tenant compte des 8 versets qui le précèdent. Les saintes femmes (Marie de Magdala et l’autre Marie) vont rendre visite au sépulcre sans savoir qu’elles ont un rendez-vous avec l’impensable. Elles voulaient seulement, comme on le ferait aujourd’hui, se recueillir sur la tombe de leur bien-aimé. Mais voilà qu’arrivées à destination, elles assistent à une théophanie : un violent tremblement de terre, l’Ange du Seigneur qui descend du ciel, les gardes du tombeau qui sombrent dans le coma, et la bouleversante annonce : « Soyez sans crainte. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici car il est ressuscité comme il l’avait dit. »

Remplies de joie, les deux Marie courent porter la nouvelle aux disciples, et, chemin faisant, elles rencontrent Jésus qui les rassure par les mêmes paroles que l’Ange quelques instants auparavant : « Soyez sans crainte… » Puis, il leur révèle le lieu où il se manifestera à tous les siens : « allez dire à mes frères qu’ils se rendent en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » Le reste du passage raconte comment, revenus de leur étourdissement, les gardes du tombeau se précipitent chez leurs patrons pour tout rapporter, et comment ces derniers organisent la diffusion d’une rumeur donnant une explication plausible à la disparition du corps de Jésus : ses disciples l’auraient volé pendant que les gardes dormaient.

Deux éléments attirent mon attention dans cet évangile. D’abord, le fait que les premiers témoins de la résurrection soient des femmes. La variante johannique de cet épisode met en scène une seule femme : Marie de Magdala. C’est elle qui découvre le tombeau vide, et c’est à elle que Jésus apparaît en tout premier lieu. Mais pourquoi n’est-ce pas Pierre ou Jean ou Jacques qui obtient ce privilège? Il me semble qu’il ne s’agit pas d’un simple accident. Je ne crois pas qu’il faille chercher dans ce fait des significations théologiques d’une profondeur abyssale. Mais c’est révélateur que les évangélistes ne s’en étonnent pas. Je risque cette explication : la résurrection est comme une seconde naissance. Rien de surprenant donc que la femme ait un rôle privilégié dans la venue ou le retour au monde. Remarquons d’ailleurs que même si, dans l’évangile d’aujourd’hui, il est question de deux femmes, elles portent le même nom : Marie, la nouvelle Ève. Cela me rappelle un vers de Claudel à propos de la Vierge au pied de la croix quand elle accueille dans ses bras la dépouille de son fils : « Elle l’a reçu donné, elle le reçoit consommé. » On pourrait ajouter : elle le recevra ressuscité ou né deux fois!

La seconde surprise (et c’est le cas dans les quatre évangiles) est qu’il n’y a aucune description de la résurrection. On ne voit pas Jésus sortir du tombeau, rouler la pierre, faire quelques exercices de réchauffement des muscles avant de reprendre son itinérance sur les chemins d’Israël, comme si sa mort n’avait jamais eu lieu. De nouveau, je crois que ce n’est pas un hasard. Nous n’avons pas, dans ce texte de détails matériels à propos d’un corps qui surgit triomphalement du tombeau et qu’on pourrait filmer afin de brandir l’événement visuellement capturé comme preuve technique de la résurrection. Cela signifie qu’on fait justement fausse route en concevant la résurrection de façon matérialiste. Les récits insistent sur « la présence » de Jésus aux siens au-delà de la mort. Il n’y aura jamais de « découverte » matérielle pour confirmer ou infirmer la résurrection. Par contre, il y a eu, et il y aura toujours des personnes, comme Marie de Magdala, Paul de Tarse, Charles de Foucault, Teresa de Calcutta, pour témoigner de la rencontre qui aura transformé leurs vies de fond en comble. La résurrection n’aura pas de preuves plus convaincantes que ces personnes vouées à l’imitation de celui qu’elles savent « vivant » pour toujours.

Melchior M’Bonimpa

2021/04/03 – Mc 16, 1-7 – Veillée Pascale

Ces trois femmes avaient montré leur fidélité jusqu’au dernier moment, en dépit du scandale de la crucifixion de leur Maître (Mc 15, 40). Aucun apôtre n’était là, ils l’avaient tous abandonné et avaient fui quand les gardes étaient venus arrêter Jésus (Mc 14, 50). Mais ces trois femmes, toujours fidèles, étaient présentes à la croix et, maintenant, elles viennent au sépulcre très tôt le dimanche matin pour compléter l’ensevelissement improvisé du Christ. Le soir du vendredi, elles m’avaient pas eu le temps avant le sabbat de se procurer ce qu’il fallait pour la sépulture de Jésus. Elles ont dû se contenter d’un ensevelissement hâtif. Durant le sabbat, la loi leur interdisait de faire quoi que ce soit. Elles viennent donc, très tôt, le dimanche matin pour honorer le corps de Jésus par une sépulture convenable.

Elles s’inquiètent au sujet de l’énorme pierre qui ferme l’entrée du sépulcre, creusé dans le roc. Une rainure en pente permettait à une pierre plate de rouler et de fermer complètement l’entrée du tombeau. Pour la rouler, la remonter vers le haut et la bloquer, afin qu’elle ne revienne pas boucher l’entrée, il fallait l’effort de deux hommes robustes. Lorsqu’elles aperçoivent le sépulcre, les trois femmes s’étonnent de découvrir que la pierre, « qui était très grande » avait été roulée, laissant libre l’entrée du tombeau.

« Le jeune homme assis à droite » dans le tombeau » est évidemment un ange, car il est revêtu « d’une robe blanche », la couleur de la gloire céleste. Cette apparition, surtout dans cette circonstance bien spéciale, provoque la frayeur des femmes. Comme dans tous les messages provenant du ciel, l’ange commence pas rassurer les femmes et les engager à bannir toute frayeur. En plus de la paix qu’ils souhaitent, ces messages célestes dépassent toujours l’espérance de ceux qui les accueillent. Dieu est infiniment plus grand que nos désirs.

Proclamez la victoire de la vie

L’ange annonce d’abord aux femmes cette nouvelle inouïe que celui qu’elles cherchent parmi les morts est ressuscité, car il est le Vivant. Celui qu’on a crucifié n’est plus là où on l’avait déposé le vendredi soir. Il n’est plus question de l’ensevelir, il a disparu. Le tombeau vide est le premier indice de sa résurrection. Mais qu’en est-il du Ressuscité? L’ange transmet aux femmes la mission d’annoncer à ses disciples qu’il les attend en Galilée. On ne reçoit jamais un don ou une bonne nouvelle pour la conserver, mais pour la partager avec d’autres. Nous sommes tous les médiateurs de la vie et de la joie qui vient du ciel.

Mais pourquoi ce commandement de se rendre en Galilée pour voir Jésus ressuscité? Pourquoi le Christ ne leur apparaît-il pas immédiatement, à Jérusalem? Parce que les disciples recevront la mission de continuer le ministère même de Jésus, qui s’est déroulé en Galilée. C’est de cet endroit que le Christ ressuscité, source de la vie nouvelle dans notre monde, leur communiquera la mission sublime de prolonger son propre ministère jusqu’à la fin des temps. Leur témoignage se transmettra par une chaîne ininterrompue de témoins jusqu’aux confins de l’univers.

La faillite des femmes

Cette annonce de l’ange est déconcertante pour ces femmes, aussi elles retombent dans leur frayeur. Le tombeau est le lieu où le mystère central de l’histoire humaine s’est déroulé, le passage de la mort à une vie glorieuse, alors que l’humanité était condamnée à subir la dégradation et la corruption. La réaction de ces femmes, c’est de s’enfuir « loin du tombeau. » Elles fuient ce lieu sacré comme si c’était un endroit dangereux. Quel est le motif de leur fuite? « Elles sont toutes tremblantes de crainte. » Elles ont perdu cette paix que Dieu leur offrait par l’entremise de l’ange. Non seulement elles fuient, mais « elles ne disent rien à personne, parce qu’elles avaient peur. » Elles ne remplissent pas leur mission d’annoncer aux disciples et au monde cette Bonne Nouvelle de la victoire de la vie sur la mort, car elles retombent dans leurs préoccupations humaines, terre à terre.

C’est de cette manière énigmatique que se termine l’Évangile de Marc. Comment la Bonne Nouvelle pouvait se terminer sur une telle faillite? Tous les disciples ont abandonné leur Maître; les trois femmes, fidèles jusqu’à la mort de Jésus, trahissent par peur leur mission d’annoncer la Bonne Nouvelle. On a suggéré – mais gratuitement – que la conclusion originale de Marc aurait été perdue. Très tôt, on a plutôt joint un résumé, qui circulait à Rome, des principales apparitions du Ressuscité. Il reste cependant que le texte original de Marc se terminait d’une façon déconcertante. Pourquoi l’auteur a-t-il conclu la « Bonne Nouvelle » sur une énigme et une déception? Tout au long de son récit, Marc a noté comment les foules et même les disciples ne comprenaient pas le mystère de la personne du Christ. La conclusion de Marc montrerait que la diffusion de l’Évangile ne provient pas de la fidélité humaine de disciples enthousiastes, mais qu’elle exigeait la lumière et de la puissance d’en haut, de l’Esprit.

Jean-Louis D’Aragon SJ 

2021/04/02 – Jn 18,1 – 19, 42 – La Passion du Seigneur

Selon la perspective de l’évangéliste Jean, on devrait donner à ce récit le titre suivant : Le Christ glorifié dans son sacrifice. Quatre scènes structurent ce récit : Jésus se livre à ses adversaires au jardin ; le procès juif ; le procès ro¬main ; le sacrifice suprême sur la croix.

Les silences du 4e Évangile

Pour comprendre l’interprétation de l’évangéliste, relevons d’abord ses nombreuses omissions d’incidents ou de détails rapportés par les trois évangiles qui le précèdent.

Au jardin, Jésus ne subit aucune angoisse, il ne supplie pas son Père, il ne vient pas vers ses disciples endormis pour qu’ils prient avec lui, il ne reproche pas à ses adversaires de l’arrêter en secret. Enfin, Jean ne conclut pas ce récit avec la fuite des disciples.

Après l’arrestation de Jésus, Jean relate, comme les trois évangiles précédents, la comparution devant les autorités juives. Au lieu d’être confronté à tout le Sanhédrin, Jésus se trouve devant le grand prêtre seul. Aucun témoin se ne présente pour évoquer la prophétie de Jésus sur la destruction du Temple. Le grand prêtre ne formule qu’une question générale sur les disciples de Jésus et sur son enseignement, mais sans aucune accusation. Il n’adjure pas solennellement Jésus de répondre s’il est le Messie ou non. La comparution se termine sans l’accusation de blasphème et sans verdict de condamnation à mort.

Avec l’exécution de Jésus, on relève de nouveau une série d’omissions. Jean ne dit rien sur les moqueries, les insultes et les manifestations de sympathie envers Jésus. Il n’est plus question de Simon, qui aide Jésus à porter sa croix. Lorsque Jésus est en croix, ni les soldats, ni les passants, ni les grands prêtres, ni l’un des crucifiés avec lui ne l’insultent. La dernière parole de Jésus, inspirée du psaume 22, est omise : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Pourquoi une telle série d’omissions ? Jean veut éliminer tout ce qui montrerait Jésus humilié et dominé par ses adversaires, qui représentent le monde. La passion de Jésus n’est pas une tragédie menant au désespoir ; elle marque plutôt la victoire du Christ, sa « glorification », selon l’interprétation de l’évangéliste.

Les additions

Pour confirmer et expliciter ce but, Jean ajoute certains indices et insiste sur des détails déjà mentionnés dans les autres évangiles. Jésus avait déjà répété à plusieurs reprises qu’il désirait accomplir parfaitement la volonté de son Père : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre ». (4,34) Juste à la fin de son ministère public, Jésus éprouvait la même tentation qu’au jardin de Gethsémani, mais elle se terminait par sa disponibilité : « Mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu. Père, glorifie ton nom. » (12, 27s)

Lorsque ses adversaires hésitent à l’arrêter, Jésus se livre lui-même et réprimande Pierre qui s’oppose au dessein de Dieu (18,6-11). Sur le chemin de l’exécution, Jean ne parle pas de Simon de Cyrène ; il dit plutôt que c’est Jésus lui-même qui porte sa croix (19,17). Jésus expire seulement après avoir constaté que la volonté de son Père est entièrement accomplie (19,28-30).

Pour que cette obéissance soit parfaite, il faut que Jésus soit pleinement conscient de tout ce qu’il accepte. Aussi l’évangéliste affirme expressément, à plusieurs reprises la connaissance exacte de Jésus concernant les événements qui l’attendent (18,4; 19,28). La connaissance de Jésus est si précise que ses prédictions s’accomplissent comme celles de l’Écriture (18,9.32).

Durant sa passion, le Christ domine sans cesse ses adversaires. Les autres évangiles présentaient Jésus silencieux, qui accomplissait ainsi la prophétie d’Isaïe 53,7. Le 4e Évangile, au contraire, montre Jésus parlant et dominant la discussion à la cour juive et à la cour romaine. En réalité, il n’est pas l’opprimé, mais le vainqueur.

Au jardin, les gardes ne l’arrêtent pas, mais il se livre lui-même, exigeant qu’on n’importune pas ses disciples (18,8). Le grand prêtre et le garde se laissent réprimander par Jésus (18,20s). Pilate ressent une impression profonde devant ce roi, dont la royauté n’est pas de ce monde (19,8-12). Dans la description de Jésus en croix, l’évangéliste élague toute trace de souffrance, physique ou morale, car, pour lui, le crucifié est le Fils exalté et glorifié dont la mort consiste à monter vers son Père. Aussi le corps glorieux de Jésus reçoit les honneurs d’une inhumation complète dans un tombeau neuf (19,38-40).

Trois traits majeurs ressortent donc des précédentes observations. Jésus ne s’adresse plus aux Juifs, parce qu’ils représentent le monde, qui a définitivement refusé le message et la personne du Fils de Dieu. Jésus se montre parfaitement obéissant à la volonté de son Père. Mais l’évangéliste veut montrer avant tout que Jésus est victorieux à travers l’humiliation de sa mort.

Sens de la Passion selon Jean

Qu’on le veuille on non, la mort est une obsession chez tous les humains. La majorité des gens évitent d’y penser et même écartent les signes qui annoncent cette fin de leur existence. À titre de personnes conscientes et libres, elles devraient pourtant envisager ce terme qui donne un sens à toute leur existence. En effet cette fin est également le but vers lequel convergent tous les moments qui précèdent et qui leur donne une signification. Si on n’y découvrait aucun sens, on serait réduit à conclure que l’existence humaine est une farce tragique.

Pour un chrétien, le Christ en croix révèle que la mort peut être source de vie. La mort, comme toute épreuve qui est une mort partielle, est une tentation qui provoque deux réactions contraires : la révolte ou l’acceptation. La révolte détruit la personne, car sa volonté s’oppose à la réalité brutale qui s’impose à elle. Jésus, au contraire, assume librement et consciemment cette « coupe » qui lui vient de son Père. Il l’assume dans un amour qui le remplit de confiance. Il rétablit de la sorte la communication vitale avec Dieu, que le premier péché et tout péché par la suite avait détruite. Tout péché, de sa nature, est un acte de défiance et de refus de Dieu.

Mais comment l’évangéliste peut-il présenter Jésus durant sa passion comme le Christ triomphant ? Est-ce seulement une fiction provenant d’un rêve ? Pour comprendre l’interprétation de Jean, il faut distinguer entre l’apparence extérieure et la réalité intérieure. On a répété à juste titre que « l’essentiel est invisible ». Les conditions extérieures d’une existence humaine ne permettent pas d’évaluer le degré du bonheur dont jouit une personne ou du malheur qui l’accable.

Dans certains milieux religieux, comme au Sri Lanka, les fidèles se soumettent d’eux-mêmes à l’épreuve du feu. En marchant nu-pieds sur les braises, plusieurs se brûlent, alors que les autres traversent l’épreuve sans inconvénient. Pourquoi cette différence face au même test? Les premiers n’ont pas la force morale pour dominer ce défi, tandis que les autres ont la foi qui domine même le feu.

L’évangéliste Jean voit toute la passion à la lumière du cœur de Jésus. En offrant par amour, dans une parfaite confiance, toute sa personne à son Père, Jésus vit en communion intime avec son Seigneur. Associant sa liberté à celle de Dieu, il domine tous ceux qui semblent l’écraser et il est glorieusement vainqueur de la mort.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/04/01 – Jn 13, 1-15 – La Cène du Seigneur

Dans son dernier repas avec ses disciples, Jésus, sachant que l’heure du retour au Père approchait, fait un geste prophétique pour illustrer jusqu’où pouvait aller son amour. Quittant la place d’honneur à la table, il revêt une tenue de serviteur, prend un linge et un bassin d’eau et lave les pieds de ses disciples. Pierre proteste mais accepte après que Jésus lui ait dit qu’autrement il n’aura pas de part avec lui. Jésus reprend son vêtement et sa place à la table et dit: Vous m’appelez Seigneur et Maître, et vous avez raison. Si j’ai fait cela, c’est comme un exemple pour que vous fassiez la même chose les uns aux autres.

Les détails que donne l’évangéliste avant de faire le récit souligne l’importance du moment et l’importance du geste de Jésus. Il est conscient que l’heure de passer de ce monde à son Père est venue. Ce qui va suivre sera donc comme le testament qu’il laisse à ses disciples. Et le geste qu’il va faire dit la grandeur de son amour et jusqu’où cet amour est allé.

Si on résume le mouvement du geste de Jésus, c’est la description d’un abaissement pour accomplir un service. Cet abaissement est l’image de l’existence du Christ. En mentionnant au début que l’heure du retour au Père était proche, l’évangéliste faisait en même temps allusion à sa venue d’auprès du Père. C’était le mouvement du Prologue de l’évangile: le Verbe, qui était avec Dieu et par qui tout fut fait, s’est fait chair et il a habité parmi nous. Très tôt, un hymne des premiers chrétiens, cité par saint Paul, disait: Lui, de condition divine… s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave…. obéissant jusqu’à la mort…Aussi Dieu l’a-t-il exalté…il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. (Phil.2,6-11)

Cet abaissement était pour faire un service et non pour une domination comme l’auraient bien voulu les premiers disciples de Jésus. Le lavement des pieds des disciples représente ce service. C’est l’image d’une purification, sans laquelle, comme Jésus le dit à Pierre, on ne peut être disciple ni avoir part avec lui. C’est une libération que Jésus est venu apporter, une libération du péché. C’est cette libération qui nous permet de demeurer en lui et que Lui demeure en nous, comme il le disait dans le discours sur le pain de vie (Jean 6,56).

C’est jusque là que va l’amour du Christ et l’amour du Père qui l’a envoyé.

Jean Gobeil SJ 

2021/03/31 – Mt 26, 14-25

Judas va offrir aux chefs des prêtres de leur fournir les moyens d’arrêter Jésus quand il connaîtra un moment favorable. Il demande un salaire. On fixe 30 shekels, l’équivalent de la compensation prescrite pour la perte d’un esclave (salaire d’un ouvrier pour 120 jours de travail).
On est au temps de la Pâque et les disciples demandent à Jésus à quel endroit il veut célébrer “son repas pascal”. Jésus les envoie réserver un endroit chez quelqu’un qu’il connaît mais sans dévoiler qui est celui qui le recevra. Le même soir, pendant ce repas, Jésus annonce qu’un des disciples va le livrer. Ils sont profondément attristés et chacun demande: “Est-ce moi, Seigneur.” La seule indication que donne Jésus c’est que c’est l’un des douze qui mangent avec lui. Judas demande: “Est-ce moi, Rabbi?” Jésus répond: “Tu l’as dit.”

Pour les disciples Jésus est le Seigneur. Pour Judas, il n’est plus qu’un rabbin comme les autres et il a compris que son mouvement s’en allait vers un échec. Les autres disciples aussi pressentaient la fin. Au moment où Jésus avait décidé de monter vers Béthanie près de Jérusalem, Philippe avait déclaré: “Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!” (Jean, 11,16) Judas a décidé de quitter avant cela et d’en retirer un peu de profit. C’est là l’opinion la plus répandue sur le mystère de Judas.

Les mouvements gnostiques du 2e siècle, pour qui la matière et le corps sont des créations du Mauvais, inventeront un Judas qui veut faire une bonne oeuvre en libérant le Christ de “la personnalité humaine qui l’emprisonnait” (Evangile de Judas). Pour ceux qui combattent les hérésies à cette époque, comme Irénée, Tertullien et Epiphane, ce sont là des créations après coup sans aucun lien avec ceux qui ont été les témoins de Jésus.

L’atmosphère est lourde et triste pour Jésus comme pour les disciples. Jésus sait bien que la Passion sera réelle: il ne fera pas semblant de mourir! La trahison de l’un des douze et la faiblesse des autres disciples ne sont pas pour diminuer cette lourdeur. Quant aux disciples, il faut remarquer qu’ils ne demandent pas qui va le trahir mais bien: “Est-ce moi?” Ils ne se sentent ni forts ni sûrs de leur propre fidélité. Ils commencent à voir s’écrouler leurs rêves d’un Règne de Dieu triomphant où ils pensaient avoir les premières places. Et ils n’ont pas encore la lumière et la force que leur donnera l’Esprit.

La fidélité reste une chose qui n’est jamais possédée une fois pour toute: elle doit être continuellement vécue.

Jean Gobeil SJ

2021/03/30 – Jn 13, 21-33.36-38

L’heure pour retourner au Père approche de Jésus. C’est le dernier repas avec ses disciples. Jésus a commencé par faire le lavement des pieds de ses disciples. Maintenant, de retour à table, il est bouleversé par la pensée qu’il sera livré par un des Douze. Le disciple que Jésus aimait est juste à côté de lui. Pierre lui fait signe de demander quel est celui qui le livrera. Pour répondre, Jésus donne une bouchée à Judas. Aussitôt, Satan entra en lui. Jésus dit à Judas d’aller faire ce qu’il a à faire. Judas sort dans la nuit. Jésus déclare que l’heure de sa glorification approche mais aussi son absence. Pierre est prêt à le suivre et à donner sa vie pour lui. Jésus prédit le triple reniement de Pierre.

C’est le dernier repas de Jésus avec ses disciples. Jésus a commencé par le lavement des pieds de ses disciples. Il a quitté la place d’honneur pour remplir un service ordinairement accompli par un esclave puis il est retourné à la place d’honneur. Cela peut représenter l’abaissement de la croix suivi de la glorification. Mais cela représente aussi le mouvement de l’Incarnation et de la vie du Christ qui a été un service. C’est certainement un exemple important qui est laissé aux disciples.

Il est maintenant profondément bouleversé à la pensée de la trahison de Judas et à la présence de Satan. Quand Jésus lui donne un morceau de nourriture, un geste amical, Judas accepte le morceau mais il n’accepte pas l’amour qui est offert. Sa décision est définitive et Satan entra en lui. Il quitte le repas pour entrer dans la nuit, symbole des ténèbres. Il était pourtant un des Douze. Chaque fois que les évangélistes donnent une liste des Douze, ils ajoutent au nom de Judas, celui qui le livra. Il restera l’exemple de la trahison.

Pierre est un autre personnage. Il est a la tête des Douze. Il se dit prêt à donner sa vie pour le Seigneur mais Jésus prédit qu’il le reniera trois fois. Il est donc un exemple de faiblesse malgré son attachement réel au Christ. Il reviendra à lui et sera mis à la tête de son troupeau (21,17).

Le troisième personnage est le modèle d’un disciple: celui que Jésus aimait. Il n’est mentionné qu’au moment de la Passion. Dans le dernier repas, Pierre passe par lui pour faire demander à Jésus qui est celui qui le trahira. Il sera le seul disciple présent à la crucifixion et c’est à lui que Jésus confiera sa mère. C’est à Pierre et au disciple que Jésus aimait que Madeleine va annoncer qu’elle a trouvé le tombeau vide. Avec Pierre, il court au tombeau mais par respect attend Pierre avant d’y entrer. A ce moment-là, le disciple crut, ce qui suppose qu’il est le premier à avoir compris que Jésus était victorieux de la mort. Lors de la pêche miraculeuse en Galilée (21,7), c’est lui qui reconnaît Jésus dans le personnage qui est sur le rivage. Il dit à Pierre: C’est le Seigneur.

On a souvent pensé que derrière le disciple que Jésus aimait se cachait l’auteur de l’évangile, Jean qui, en dépit de son importance, n’est jamais mentionné dans le quatrième évangile.

Jean Gobeil SJ 

2021/03/29 – Jn 12, 1-11

Les textes de ce lundi font sentir que nous amorçons la montée vers Pâques. En première lecture, nous avons l’un de ces bijoux du « Second Ésaïe » qu’on a appelé « les chants du serviteur souffrant ». Et je constate que ce sera la même chose mardi et mercredi de cette semaine sainte. Et l’Évangile de Jean précise que l’événement de « l’onction à Béthanie se produit « six jours avant la Pâque ».

Nous avons ici l’un des rares textes de Jean qui est concordant avec les trois autres évangiles, grosso modo. Jean est le seul à identifier la merveilleuse femme qui verse sur Jésus un parfum de grand prix. Les synoptiques ne donnent aucun nom de cette actrice : ils désignent une femme sans nom. Jean donne des précisions : il s’agit de Marie, sœur de Marthe et de Lazare, celui que Jésus avait ressuscité d’entre les morts. Par contre, Jean ne localise pas en détail le lieu où se produit la scène : il indique uniquement la ville ou le village, Béthanie, et l’on pourrait croire que l’événement a lieu dans la maison de ces trois amis de Jésus, d’autant plus que « Marthe faisait le service ». Marc et Matthieu situent la scène chez « Simon le lépreux », tandis que Luc, nettement plus « créatif » que Matthieu qui se contente de copier Marc, nous transporte dans la maison d’un pharisien assez ouvert pour inviter Jésus à dîner. Ce notable est pourtant choqué de voir son hôte se laisser oindre par une « pécheresse ».

Luc est le seul des évangélistes à identifier cette audacieuse « Marie » à Madeleine, la pécheresse que les best-sellers de la littérature actuelle nous présentent comme « l’épouse de Jésus ». Mais chacune des quatre versions de l’épisode souligne le non-conformisme de Marie. Elle brave les interdits. Elle n’a cure du qu’en dira-t-on. Elle déverse un parfum de trois cents pièces sur la tête de Jésus (selon Marc et Matthieu) ou sur ses pieds (selon Luc et Jean). Quelle que soit la partie exacte du corps de Jésus qui bénéficie de cette coûteuse onction, la réaction des témoins de la scène est la même : une indignation vertueuse. Si on actualisait l’épisode, je me vois parfaitement parmi ceux qui seraient scandalisés, exactement comme Judas dans l’évangile de Jean : un parfum de « trois cents dollars » gaspillés d’un seul coup alors qu’il y a des sans-abri qui meurent de faim!

Face à cette situation, un Jésus embarrassé se lance dans des justifications de ce geste extravagant, sans parvenir à être convaincant d’autant plus qu’il en est le bénéficiaire. Et le croyant que je suis se retrouve face à cette question embêtante : pourquoi les évangélistes, et tous les quatre, n’ont pas vu qu’avec un minimum de bon sens, n’importe qui donnerait raison à ceux qui ont trouvé cette onction déplacée et scandaleuse? La réponse à cette question est probablement très simple : c’est arrivé ainsi! Il est très probable que l’unanimité des évangélistes signifie que l’épisode s’est effectivement produit. Et dans ce cas, la première chose à admirer chez eux est le courage de la vérité.

Mais ensuite, il faudrait reconnaître que la critique sociale que formule Jésus par le biais de la justification du geste de Marie n’est pas nulle, ni caduque. Car enfin, n’y a-t-il pas hypocrisie à s’indigner qu’une femme gaspille trois cents dollars pour exprimer son amour, alors que nous nous taisons dans toutes les langues quand nos gouvernements, même élus démocratiquement, dépensent des millions, des milliards, pour tuer gratuitement de pauvres hères qui n’ont rien fait pour que le monde soit si mal fichu?

Quand Jésus dit : « Les pauvres, vous les aurez toujours », il ne faut pas y voir l’énoncé d’un simple état de fait. C’est une mise en garde, une mise en cause du « monde » dans le sens johannique du terme. Le sens de cette phrase est : « Vous vous arrangerez toujours pour fabriquer des pauvres. » Ce n’est donc pas une question de fatalité : notre responsabilité ou plutôt, notre irresponsabilité y est pour quelque chose. Toutes les trois secondes, un enfant meurt de malnutrition dans le monde. Et pourtant, la production alimentaire mondiale peut nourrir le double de la population planétaire actuelle.

Melchior M’Bonimpa